• Dans le métro

    [et_pb_section admin_label= »section » transparent_background= »off » background_color= »#ffffff » allow_player_pause= »off » inner_shadow= »off » parallax= »off » parallax_method= »off » custom_padding= »0px||0px| » padding_mobile= »off » make_fullwidth= »off » use_custom_width= »off » width_unit= »on » make_equal= »off » use_custom_gutter= »off »][et_pb_row admin_label= »row » make_fullwidth= »on » use_custom_width= »off » width_unit= »on » use_custom_gutter= »off » custom_padding= »0px||0px| » padding_mobile= »off » allow_player_pause= »off » parallax= »off » parallax_method= »off » make_equal= »off » parallax_1= »off » parallax_method_1= »off » column_padding_mobile= »on »][et_pb_column type= »4_4″][et_pb_text admin_label= »Texte » background_layout= »light » text_orientation= »left » use_border_color= »off » border_color= »#ffffff » border_style= »solid » custom_margin= »15px||| »]

    Après une journée fatigante, assise sur un siège en forme de cuvette, un œil fixé sur le panneau de fréquence du trafic, l’autre sur une mer idyllique proposée par une agence de voyages, je laisse passer quelques métros bondés. Une rame s’arrête déversant sur le quai une grande partie de ses occupants, je décide d’y monter.

    Un strapontin s’est libéré. À cette heure de pointe, la course aux places assises me laisse souvent debout. Je n’y suis pas très habile malgré une connaissance approfondie des avantages et des inconvénients de chaque siège. Les huit places centrales offrent un asile au milieu de la foule. Cependant mes préférences vont vers les bouts de rame d’où il est possible d’observer sans complexe, un coude appuyé sur la tablette de la fenêtre, le wagon suivant, les câbles et les tampons de jonction, les passagers compressés.

    Ce jour-là, grâce à cette attente et peut-être parce que le flot de la sortie des bureaux est passé, le métro n’est pas surpeuplé. Mon attention flotte sur la journée écoulée,  la soirée à venir, lorsque j’entends une voix forte provenant de l’autre bout du wagon.

    Dans mon enfance on lisait encore sur des murs délabrés cette phrase à demi effacée : « La mendicité est interdite », suivie d’un numéro du Code civil. L’assistance aux démunis passait par des organisations laïques ou confessionnelles. Seuls les clochards faisaient la manche. Je me souviens comme si c’était hier de Roméo et Juliette, un couple de marginaux qui déambulait dans notre ville en poussant un landau rempli d’objets hétéroclites. On les a retrouvés morts, gelés l’un contre l’autre dans leur abri de fortune l’année où la température est descendue en dessous de – 20° durant trois semaines. Ils faisaient partie de notre univers et la ville entière eut une pensée pour eux.

    Aujourd’hui, entre l’appartement et l’atelier, je ne compte pas moins de huit mendiants, tous anonymes, et la plupart roumains, auxquels il faut ajouter les quêteurs du métro. Matin et soir, je vois se dégrader un jeune homme avachi sur le trottoir qui crie à chaque passant : « M’sieur ! M’dame ! Une p’tite pièce, siou plait ». Il semble ne pas avoir toute sa tête. Les gens du quartier le protègent. J’hésite à lui faire l’aumône. Je voudrais lui manifester un peu de solidarité, mais je crains d’accélérer sa chute.

    A l’autre bout du métro, ce jour-là, un homme de très haute taille, chevelure ondulée grisonnante, visage rouge et charpenté, nez fort et mâchoire carrée, se lance dans un discours de protestation contre l’égoïsme des nantis. Sa prestance gouailleuse donne un instant du poids à ses paroles et les têtes se tournent vers lui. Mais l’obscénité de ses propos le renvoie vers le groupe indistinct des laissés-pour-compte de la société et les regards s’éteignent. Il traverse le wagon, main tendue, et se tait lorsqu’il atteint la porte à côté de mon strapontin. J’évite son regard, peu soucieuse de me voir interpelée.

    C’est alors qu’une voix menue, aussi fine et féminine que celle de l’homme avait été forte et grave rompt le silence :

    — Je m’appelle Aurélie…

    Deux mendiants ne quêtent jamais dans le même wagon. Les visages se dirigent vers elle.

    La jeune fille qui vient de sauter dans la rame commence son discours sur un ton guilleret. Une vingtaine d’années, jolie, nez en trompette, cheveux frisés enveloppés dans un turban de couleurs mordorées assorti à une robe longue tissée de matières naturelles qui évoque les années hippies avec le décalage inhérent aux imitations.

    L’homme ne l’a pas tout de suite entendue. Il finit par lever la tête comme tiré de ses pensées. Figé par la surprise, il évalue la situation. Elle parle un français sans accent. Sa voix cristalline ne porte aucune plainte, aucune récrimination. Elle demande simplement une pièce ou un ticket restaurant, comme on demanderait l’heure ou son chemin. On devine à ses sourcils froncés qu’il ne parvient pas à la situer, puis ses classifications reprenant le dessus, il crie, afin que tout le monde l’entende, sûr de son fait :

    — L’enc…, est-ce que je vais mendier à Bucarest ?

    Ce nationalisme intempestif fait sourire ceux qui ont saisi la scène. L’homme n’en a cure et lorsque le métro s’arrête, il descend la tête haute, impérial, sur le quai. La jeune fille effrayée par le tonnerre déclenché s’est enfuie, laissant chacun à ses pensées.

    [/et_pb_text][/et_pb_column][/et_pb_row][/et_pb_section]


  • Le Pont des Arts

    [et_pb_section admin_label= »section » transparent_background= »off » background_color= »#ffffff » allow_player_pause= »off » inner_shadow= »off » parallax= »off » parallax_method= »off » custom_padding= »0px||0px| » padding_mobile= »off » make_fullwidth= »off » use_custom_width= »off » width_unit= »on » make_equal= »off » use_custom_gutter= »off »][et_pb_row admin_label= »row » make_fullwidth= »on » use_custom_width= »off » width_unit= »on » use_custom_gutter= »off » custom_padding= »0px||0px| » padding_mobile= »off » allow_player_pause= »off » parallax= »off » parallax_method= »off » make_equal= »off » parallax_1= »off » parallax_method_1= »off » column_padding_mobile= »on »][et_pb_column type= »4_4″][et_pb_text admin_label= »Texte » background_layout= »light » text_orientation= »left » use_border_color= »off » border_color= »#ffffff » border_style= »solid » custom_margin= »15px||| »]

    Ce matin-là, un soleil printanier brille sur Paris et je décide de me rendre à pied à Saint-Germain-des-Prés, heureuse de traverser la Seine.

    Coule la Seine, sonne l’heure…

    Après avoir longé la colonnade du Louvre, je franchis le quai François Mitterrand. À ce propos : quelle que soit la qualité de l’homme politique et la reconnaissance que je lui dois pour avoir magnifiquement rénové le Musée, j’avoue regretter son ancienne nomination de Quai du Louvre plus inscrite dans l’histoire de France depuis les Capétiens. Je n’ai pas non plus apprécié quand la mythique place de l’Étoile est devenue place Charles de Gaulle, malgré mon admiration pour le grand homme.

    Je me penche vers la Seine, par-dessus le parapet. Son bleuté, ses vaguelettes jouent avec les péniches et les bateaux-mouches. Les arbres bourgeonnent et le nouveau saule pleureur se saupoudre de vert tendre.

    Avec un rien d’appréhension, mon regard se porte sur la passerelle des Arts. Depuis quelques années, elle est affublée de milliers de cadenas accrochés au grillage de ses rambardes. D’une certaine façon, ces cœurs entrelacés me touchent, variante moderne, et moins agressive des graffitis gravés dans la pierre ou dans le bois. Les prénoms, les alphabets, les idéogrammes qui y sont inscrits évoquent des amours internationaux, des instants de bonheur. Cependant, par nature, l’amour me semble éphémère, à reprendre ou soigner comme au premier jour, difficile à afficher, en tous cas impossible à cadenasser. La légèreté de la chanson de Brassens, me convient davantage :

    Si par hasard, sur le pont des Arts

    Tu croises le vent, le vent fripon,

    Prudence prend garde à ton jupon.

    Cette quincaillerie déplaît à la Mairie de Paris. Elle les a fait scier par milliers une nuit durant, travail titanesque qui a laissé perplexes les passants du lendemain. Une semaine plus tard, les cadenas étaient de retour et prolifèrent depuis par centaines de milliers. Les grillages n’y résistent pas. Affaissés par endroits ils sont alors remplacés par d’inesthétiques panneaux de bois.

    Je lève donc les yeux sur la passerelle et j’ai l’heureuse surprise de la voir briller dans le soleil. Elle pétille de tous ses cadenas chromés, nickelés, argentés et dorés, dans une allégresse qui fait plaisir. C’est de bonne humeur que je franchis la pente qui mène à son tablier. L’heure matinale la parsème de passants actifs. Quelques touristes flânent, réjouis par le bleuté des bâtiments du Louvre, l’orangé de la coupole de l’Institut et par le fleuve scintillant de part et d’autre de l’Ile de la Cité. Les vendeurs à la sauvette installent leur bimbeloterie et le peintre, toujours le même, s’est déjà lancé dans l’exécution de sa millième pochade de l’Institut, pas si mal !

    Je me penche à nouveau pour regarder couler la Seine. Récemment une amie m’a rappelé avec une certaine ironie la promesse faite par Jacques Chirac, alors maire de Paris, de bientôt pouvoir s’y baigner. En effet, l’onde n’est peut-être pas encore limpide, mais beaucoup de progrès ont été réalisés depuis quelques décennies. On voit même la pente de ses rives s’enfoncer sous l’eau. Elle ne charrie plus ces objets non identifiés et inquiétants qui pouvaient évoquer le pire. Je regarde s’enfiler sous mes pieds un lourd chaland rempli de gravier à ras bord.

    Une fois de plus, je savoure l’incessant ballet des péniches sur le fleuve lorsqu’un vacarme mouillé me tire de ma méditation. Un Zodiac a démarré en trombe de la base de la gendarmerie fluviale, au pied du quai des Grands Augustins. Il amorce un virage à cent quatre-vingts degrés dans une gerbe d’eau et de gouttelettes ruisselantes de soleil. Il remonte le flot jusqu’à la passerelle et le redescend, moteurs hurlant, en direction du Vert Galant, du côté du grand bras de la Seine. Cinq à six hommes sont dressés au fond du bateau, fermement plantés dans ses soubresauts, la plupart sont revêtus de combinaison de plongée. Et lorsqu’il s’arrête près de la station des bateaux-mouches du Pont Neuf, l’un d’eux jette à l’eau une bouée orange.

    J’ai lu quelque part qu’une sorte de barrage à l’entrée de Paris avait été construit pour retenir les objets volumineux. Mais un ami qui habitait dans une péniche près de la Concorde m’a dit qu’il n’était pas exceptionnel de découvrir un corps sans vie entre les bateaux et le quai. La Seine est attirante. Des désespérés s’y jettent depuis les ponts. On repêche parfois des ivrognes comme aspirés par le flot. Un commandant de la gendarmerie fluviale m’a raconté qu’on y repêchait des dizaines de fêtards dans la nuit de la Saint Sylvestre. Cette fois, il pourrait s’agir d’un accident lors d’un embarquement de touristes.

    J’observe la scène tétanisée, lorsque j’entends fureter derrière moi. Quelqu’un me frôle le bras, je me retourne. C’est un promeneur de bonne volonté qui filme un couple verrouillant un cadenas sur un des derniers maillages libres de la rambarde. Sous l’œil de la caméra, le jeune étranger jette la clé dans la Seine. Ils manifestent leur joie par des rires et des exclamations dont je ne saisis pas un mot. Des Russes ? On en croise beaucoup ces temps-ci. Je m’écarte et retourne à mon observation.

    Les sauveteurs sont penchés vers le flot. Je cherche une bosse, un vêtement, une ombre qui évoqueraient un drame, lorsque, surgissant d’un arc de voûte du Pont Neuf, j’aperçois une énorme péniche de transport de matériaux qui fonce sur eux. Le Zodiac ne bouge pas. Je suis partagée entre l’inquiétude et la confiance.

    La barge n’en finit pas de sortir de l’arche, mais les sauveteurs sont tournés vers la bouée orange. Elle avance, labourant l’eau, elle n’est plus qu’à quelques mètres… Mon cœur s’arrête… Ouf ! Ça passe ! Le Zodiac tangue le long du monstre.

    Après quelques brefs conciliabules, deux gendarmes en combinaison de plongée, bouteilles d’oxygène sur le dos basculent en arrière et disparaissent sous la surface.

    Les minutes s’écoulent. Enfin les deux têtes réapparaissent, comme ces canards qui plongent et resurgissent là où on ne les attend pas. Ils remontent dans le bateau qui va aussitôt repêcher la bouée jaune et s’immobiliser au bout du Vert Galant. Je comprends enfin qu’il s’agit d’un exercice. Une banale scène de la vie parisienne !

    Je reprends ma promenade d’un pas réjoui. On ne s’ennuie jamais à Paris, on y surprend toujours un spectacle,  un petit événement à attraper au vol. Traversant le quai, je m’introduis dans le passage de l’Institut, plongée sans transition dans les petites rues calmes de Saint-Germain-des-Prés.

    Au retour, n’ayant plus le temps de rentrer à pied, je monte dans le 67, devant l’École des Beaux-arts, avec une pensée pour mes années de jeunesse et je m’installe commodément sur le dernier strapontin à côté des places assises. L’autobus surgit de la rue Bonaparte, il tourne à gauche sur le quai, puis à droite pour emprunter le pont du Carrousel. Un des plus beaux paysages de Paris ! La Seine glisse sous la passerelle des Arts, entre le Louvre et l’Institut. Plus loin, la multitude des bâtiments historiques s’enracine dans un passé que le présent ne désavoue pas. Une sorte de méditation me saisit toujours dans cette portion de trajet, d’autant plus qu’après avoir franchi les Guichets, on traverse le Louvre, entre la pyramide de Pei et l’Arc du Carrousel, élégance du verre associé à l’arc de pierre rose surmonté de son aérien quadrige.

    Un soupir de satisfaction et je pose mon bras sur le siège fixe qui présente une surface agréablement surélevée. Comme l’autobus s’enfonce sous le Pavillon de Marsan pour rejoindre la rue de Rivoli, je sens mon accoudoir bouger. Levant la tête, je vois un homme d’une cinquantaine d’années, vêtu d’un costume de prix, coupe de cheveux impeccable, l’air un peu gêné. Mon bras est posé sur sa cuisse. Je le retire en m’excusant platement, sous le regard amusé de son ami assis à côté de lui.

    Je descends à la station suivante, avenue de l’Opéra, au niveau de la Comédie Française, laquelle est emmaillotée en ce moment pour une réfection générale. Une étrange salle provisoire, entièrement en bois, a été installée dans la cour devant le ministère des Affaires Culturelles… Je me lève. Mon accoudoir aussi. Avec quelques phrases amusées, nous sommes sortis de l’autobus, lui pour remonter l’avenue, moi pour traverser les jardins du Palais-Royal où des jeunes gens déterraient les bulbes de jacinthes et de jonquilles en vue des plantations du printemps. L’un d’eux m’a souri gentiment.

    Et c’est ainsi que, longeant la place des Victoires, j’ai rejoint Gilles pour déjeuner à l’appartement.

    [/et_pb_text][/et_pb_column][/et_pb_row][/et_pb_section]