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Discussion avec Pierre et Antoine au café l’Esplanade. Pierre, lui-même peintre, célèbre au Japon et présent dans les plus grands musées de Tokyo, n’aime pas du tout Soulages qui expose en ce moment au Louvre à l’occasion de sa centième année. Il ne mâche pas ses mots. S’il apprécie au plus haut point les vitraux de l’abbaye de Conques, il juge ses œuvres noires nulles et inexistantes, d’une totale absence d’intérêt. Selon lui, Soulages a trouvé une technique lui épargnant les questions que tout artiste doit se poser, c’est l’œuvre d’un paresseux. Et j’en passe… Il a fini par me prendre à témoin.  Je n’éprouve pas de passion particulière pour ce peintre que j’ai suivi depuis ses premières expositions en France. Jusque là je n’avais rien dit, mais du moment qu’il me demandait mon avis, je me suis lancée :

–  On ne peut pas nier la qualité de la lumière qui surgit de ses noirs, la qualité de leur matière, la force des rythmes dans ses grands formats. Il en a fait une couleur à part entière.

Antoine a pris la parole, avec son accent corse :

– Martine, tu te vois mettre une de ses toiles dans ton entrée ? Ce ne serait pas très gai et tu serais obligée d’allumer une lampe sur le côté pour le voir.

Lui répondre que ce n’est pas une peinture d’appartement ? J’ai préféré me taire, Pierre était vraiment fâché.

Nous avons parlé d’autre chose et la tension a fini par retomber. Au moment de partir, je lui ai dit en riant :

— Et béh, Pierre !  Je ne t’ai pas souvent vu comme ça !

— J’espère que je n’ai pas été  trop pénible !

— Non, pas du tout, un petit coup d’adrénaline ne fait jamais de mal.

Sans réfléchir, il a lancé :

— En effet, ça soulage !

— Comme tu dis !

Et on s’est embrassé en riant.

Le soir même, passait justement à la télévision un documentaire sur Soulages. On le dit simple et accueillant, mais difficile de dire que c’est un petit rigolo, à moins qu’il ne soit pince sans rire. Il a tout juste esquissé un sourire lorsqu’on lui a montré une vidéo d’enfants qui l’encourageaient à continuer dans sa voie et à poursuivre « sa carrière ». Le film était bien fait. Filmé dans son atelier avec son assistant, il parlait de son travail, de son attirance dès l’enfance pour l’abstraction, de la fameuse nuit de janvier, où il a été amené à utiliser exclusivement le noir. Il tenait un discours esthétique, un peu mystique et sidéral, relayé par ses amis et les critiques d’art.

Je m’étonne toujours d’entendre les peintres expliquer le pourquoi du comment, alors que pour ma part, je peins comme dit le poète : « Comme on dessine sur le givre, comme on se fait le cœur content ». Même si je dois lutter et qu’à chaque fois,  il me faut dépasser un moment où je crois avoir définitivement raté mon travail.