Dimanche, à la sortie du métro Anvers, une foule hétéroclite déambulait sur le terre-plein central du boulevard Rochechouart. Je me suis faufilée entre les étals et les badauds, lorsque soudain tout s’est figé autour de moi au milieu de hurlements. Je n’ai pas tout de suite compris.

Une longue file de jeunes attendait devant le Trianon en levant les yeux et en criant à tout rompre. J’ai fini par voir sur le balcon de l’étage, le petit groupe d’hommes vêtus de noir. L’un d’eux a levé un bras et tous les bras sur le boulevard se sont levés d’un seul mouvement. Il s’est penché vers la file et ce fut du délire. De loin, il ressemblait un peu à Georges Clooney, mais j’ai entendu quelqu’un dire que c’était un chanteur.

Le temps que je m’avoue complètement ignare en musique populaire d’aujourd’hui, surtout celle qui passe par les réseaux sociaux, ils avaient disparu.

J’ai gravi la rue Dancourt envahie par les touristes qui se rendaient à Montmartre et j’ai atteint sur la place Charles Dullin, le théâtre de l’Atelier et sa nouvelle petite salle en sous-sol, l’Atalante.

Rien de commun avec la foule devant le Trianon. Nous étions une trentaine à entendre l’immémoriale Odyssée, traduite en vers de huit pieds par Philippe Brunet et récitée en continu durant la semaine des Dionysies.

J’étais venue pour le chant interprété par Susie. Ulysse arrive à Ithaque déguisé en mendiant, il est invité par Télémaque à la fête qui doit décider du sort de Pénélope. Susie n’avait pas pu le terminer l’année dernière à la Sorbonne, me laissant un goût de revenez-y.

Elle a fait parler les marionnettes sur pied, virevoltant de l’une à l’autre, ajoutant à la faramineuse histoire ce mélange de poésie et de sensualité qui m’avait tant plu à la Sorbonne. Je suis restée pour le chant suivant, celui durant lequel les prétendants se succèdent et ne parviennent pas à bander l’arc d’Ulysse. Une jeune fille au visage entouré de boucles dorées semblait tout droit surgie de l’antiquité.

À la sortie, j’ai discuté avec Yann, responsable culturel de la Sorbonne. J’avais su par Gilles qu’il avait été contraint de délocaliser les programmations des prochains jours, le doyen ayant décidé de fermer l’université à la moindre alerte. Nous avons évoqué le passé – nous nous connaissons depuis si longtemps – la fameuse soirée du blocage par les Blackfaces, les superbes réalisations autour d’un Molière revenu au texte d’origine, un Tartuffe repris ensuite avec succès à la Comédie Française.

Comme le 85 tardait, je suis redescendue à pied par l’avenue Trudaine et le square Montholon, un quartier que je connais mal. Des rues calmes, presque provinciales, quelques hôtels et terrasses de café où des petits groupes se reposaient au soleil. On entendait les enfants jouer dans le square. Quel contraste avec l’idée qu’on se fait d’un Paris à feu et à sang ! La ville se vide de ses habitants. Ils fuient vers les villes de province, chassés par le prix de l’immobilier, mais aussi par les incessantes manifestations de ces dernières années. Pourtant Paris reste à mes yeux un lieu privilégié, bouillonnant de vie, d’incessantes observations.

Autour des Grands boulevards, je suis passée de passage couvert en passage couvert. Dans l’un d’eux, les badauds du dimanche ne semblaient pas remarquer la chimère qui trônait derrière une vitrine. C’est ça Paris. Le droit à l’étrange, le droit à la différence.

Jeudi dernier, on a craint que la manifestation intersyndicale ne tourne au vinaigre. La place de l’Opéra, où elle devait se disperser avait été envahie par les blackblocs. Ce fut une bataille rangée avec la police. Pendant ce temps les manifestants, encadrés par les syndicats avaient attendu sur les grands boulevards qu’elle se dégage. Finalement, l’embrasement général n’a pas eu lieu. Juste quelques poubelles incendiées. Mais une récente formation des forces de l’ordre s’est mal conduite, outrepassant sa fonction jouant de la matraque avec délectation, lançant des menaces inadmissibles. Il faut espérer que la police fera le ménage dans ses rangs !

La province a également beaucoup bougé, mais Ève m’a dit qu’il n’y avait pas eu de débordements à Grenoble. La France serait-elle saturée des violences endémiques de ces dernières années ?

Les Français n’admettent pas le côté autoritaire d’Emmanuel Macron, le passage en force du 49.3 de la loi sur les retraites. Désormais, le Conseil constitutionnel planche sur sa légalité.

Anny Laure qui habite à côté m’a dit que le Palais-Royal est maintenant la ligne de mire des manifestants.