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Le lendemain matin, nous avons laissé Marina à ses préparatifs de départ et nous sommes partis pour Messine avec l’intention de voir le musée national et ses deux Caravage.

Maurizio nous avait dit avec humour :

— L’autoroute passe sur quarante ponts et sous quarante tunnels. J’ai eu le temps de les compter durant mes quarante années d’enseignement à la faculté de Messine.

En effet ! En tenant compte des joints de dilatation tous les dix mètres sur les ponts, le périple ne devait pas être de tout repos. J’en profite pour dire que nous avons été surpris par la conduite des Siciliens. Contrairement à leur réputation, ils conjuguaient astuce et prudence sans s’énerver. Il est vrai qu’en ce mois de septembre, les routes n’étaient pas surchargées.

En revanche, les signalisations laissaient partout à désirer. Que d’erreurs et d’errances, surtout ce jour-là ! Pourtant tout avait bien commencé. Nous étions parvenus sans encombre au pied du musée. Nous avions garé la voiture dans un de ces parkings écologiquement réservés aux voitures électriques.

Nous avons fini par trouver l’entrée et nous étions restés assis durant de longues minutes devant les deux tableaux de Caravage, sujets religieux de grande taille. Plus que leur réalisme, c’est leur éclairage, ce contraste violent d’ombre et de lumière dessiné par une source non identifiable qui m’a frappé. Durant sa vie agitée, le peintre avait plusieurs fois été sauvé de la misère par des commandes de mécènes indulgents à ses frasques. Voyant une des toiles à peine recouverte de personnages émergeant d’un fond ténébreux, j’ai pensé un instant à une astuce pour livrer le tableau le plus vite possible. Mais bientôt un sentiment de respiration m’a jetée dans les bras de ce sacripant de Caravage. Il me changeait des tableaux précédents plus ou moins dorés et bourrés de personnages édifiants

Il était près de 14 h et nous n’avions rien dans le ventre. Pas de cafétéria, rien aux alentours, nous avons continué vers le nord le long de la mer. Rien, toujours rien. Nous avons garé la voiture et j’ai descendu les ruelles désertes du village vers la plage en espérant trouver une paillote. Ce fut un choc.

Le détroit de Messine s’offrait à mes yeux. Charrybde et Sylla, la Sicile et la Calabre. Des rochers affleuraient au loin. Les vagues blanches d’écume venaient s’y jeter dans un voluptueux labour. Le vent fouettant la couleur, l’indigo de la mer répondait au cobalt du ciel. Paysage immémorial. Tel un personnage d’Homère ou d’Antonioni, une baigneuse marchait dans le soleil d’un pas tranquille et souple sur la grenaille des cailloux. Sur l’ondulation de la berge, au milieu des bois morts, des filets échoués, elle avançait solitaire, indifférente à ma survenue intempestive.

Nous avons fini par trouver une trattoria. Gilles a pu déguster une tranche grillée d’espadon et nous avons acheté pour Marina de ces délicieux petits gâteaux aux amandes, témoins de la présence arabe en Sicile durant des siècles.

Nous voulions atteindre le détroit de Messine. Par je ne sais quel mystère, guidés par le GPS, nous avons quitté la route côtière et nous sommes montés sur la colline dominant la mer. Il nous annonçait des numéros de route et des dénominations dont nous ne voyions aucune trace. La route rétrécissait de plus en plus et nous nous sommes retrouvés sur un chemin à peine goudronné, entourés d’arbres brûlés Nous avons dû contourner l’un d’eux, tombé sur la chaussée.

Autour de nous la forêt calcinée étendait ses branches sinistres. Les collines désertes dominaient désormais à perte de vue la mer de tous côtés : la mer Tyrrhénienne, la mer Ionienne. Et nous avons continué de monter au milieu d’un désastre de plus en plus désolant.

— Tu ne crois pas qu’on pourrait redescendre ? ai-je dit à Gilles, tout en sachant la manœuvre des plus délicates à la vue des précipices qui nous entouraient.

— Mais non, cette route va bien finir par nous amener quelque part.

En effet nous sommes arrivés à une sorte de camp militaire dont les toitures s’étaient effondrées. Nous avons roulé sur une butte, puis dans un fossé. Nous nous sommes arrêtés sur une plate-forme envahie par des arbustes noirâtres. La route s’arrêtait là et le GPS après un temps de recherche a déclaré :

— Itinéraire inconnu.

Et sur l’écran une icône montrait un demi-tour.

Dans des relents de vieux brûlé, nous avons pu l’effectuer en toute sécurité. Vaille que vaille, nous avons franchi à nouveau les obstacles dans le sens de la descente. Le GPS nous a encore un peu trompés, ce qui nous a valu quelques vertigineuses marches arrière. Et je n’ai pas été fâchée de retrouver le niveau de la mer, même s’il nous fallut plus d’une heure d’errance dans les faubourgs de Messine avant de nous enfiler sur l’autoroute de Taormina.

Au retour, Marina nous a dit :

— Il m’est arrivé la même aventure dans ces parages. Nous allions à un mariage et quand nous avons fini par l’atteindre, l’église était vide. Tout le monde était parti.

(à suivre)