La semaine dernière, entre les démêlés autour de l’héritage de Johnny Hallyday et la saga des « royals » d’Angleterre, j’ai lu sur Internet l’annonce du décès de la très belle Marie Laforêt. À vrai dire, à part son rôle de Marge, 20 ans, attendrissante dans Plein soleil, et quelques ritournelles qui peuvent encore me trotter dans la tête, elle ne m’évoquait pas grand-chose. Comme pour tout le monde, elle était « la fille aux yeux d’or », expression étrange d’ailleurs pour qualifier d’immenses yeux d’un bleu d’aigue-marine. Les actualités et les journaux s’étendirent sur sa vie, sa carrière et sa fin à l’âge de 80 ans. Je découvris une femme libre et attachante.
Son ami, le chroniqueur humoriste Laurent Ruquier, raconta qu’elle suivait ses émissions et ne manquait pas de lui donner des avis judicieux. Une semaine avant de mourir, alors qu’elle était dans une clinique suisse en soins palliatifs, il avait présenté à la télévision un nouveau collaborateur, jeune et beau. Elle lui avait envoyé ce mail : « Il est très mignon, tu me le présenteras. On ne sait jamais, il est peut-être nécrophile ! »
La famille annonça que, selon son désir, les obsèques auraient lieu à Saint Eustache. Elle avait longtemps vécu dans le quartier. Grand Dieu ! Une voisine ! Comment ne pas lui rendre hommage ? J’hésitais tout de même à lui sacrifier une après-midi de travail. Finalement, je me suis retrouvée dans l’église à deux mètres de son cercueil, modeste boite de sapin entourée de fleurs blanches, à deux pas de la maire de Paris, du ministre de la Culture, des célébrités et de la famille éplorée.
Le curé de Saint Eustache raconta qu’elle venait à la messe tous les dimanches, se débrouillant pour passer inaperçue et qu’elle envoyait ensuite des commentaires sur le sermon. Son fils prit la parole : elle avait été une mère très peu présente et il en avait souffert, un soir alors qu’il était dans son lit, ses éclats d’enthousiasme devant un match de rugby lui avaient fait une peur épouvantable. Puis la maladie les avait rapprochés, elle lui avait confié avec humour : « C’est crevant de mourir ! ». Sa fille, une réalisatrice renommée, termina son évocation par un « Je te salue, Marie, pleine de grâce ». Il en ressortait quelle avait joué la comédie (le rôle de La Callas), chanté avec succès, appris le latin, fait de l’archéologie, tenu une galerie de peinture, une vie de talents multiples. Je sus par la suite qu’elle s’était mariée cinq fois…
Prise d’une quinte de toux, je me suis écartée et je me suis promenée dans l’église où sont inhumés Colbert, Marivaux, Rameau entre autres, et où de nombreux événements historiques eurent lieu comme le baptême de Molière ou la première exécution du Te Deum de Berlioz et de la Messe solennelle de Liszt par lui-même. Et je fus saisie d’émotion en entendant Jésus que ma joie demeure joué avec une légèreté qui évoquait ses chansons.
On pouvait remarquer un nombre inhabituel d’hommes dans l’assistance et beaucoup avaient les yeux humides. Un public bigarré : beaucoup de gens en blousons ou parkas, d’autres en manteaux bien coupés, des Genevois (elle avait aussi la nationalité suisse) qu’on reconnaissait à un je ne sais quoi de bronzé et d’opulent, quelques touristes asiatiques.
En sortant, je suis passée devant le porche. Le cercueil était porté au milieu d’une foule qui applaudissait. Une femme me confia :
— Je la voyais presque tous les jours. Elle venait dans ma boutique. Je suis bouchère, rue Montorgueil. Elle me demandait parfois de garder son chien, un petit chien blanc, pendant qu’elle allait faire une petite prière à Saint Eustache. Elle me disait : « Ça me fait du bien ! »
C’est ainsi que je fus informée sur le ton de la confidence que Marie Laforêt allait être inhumée dans l’intimité familiale. Et je pensai aux phrases du livret distribué dans l’église : « Je vous confie ma vie de chanteuse. Prenez-en soin. Elle fut faite avec un cœur simple et honnête. »
Il était trop tard pour aller à l’atelier et je suis rentrée, songeuse.







