• Noëls

    Dans ma vie, il m’est souvent arrivé de ne pas aimer Noël.

    Enfant, je m’en faisais une joie à l’avance, mais il était rare que la réalité corresponde à mon attente. On nous réveillait pour aller à la messe de minuit au Carmel. Après le réveillon, j’avais du mal à me rendormir tant j’attendais le lendemain et ses cadeaux.

    Le matin, nous patientions alignés devant la porte du salon. Quand les battants s’ouvraient, nous nous avancions le cœur en émoi vers la chaussure déposée la veille sur le tapis devant la cheminée.  Aujourd’hui, je devine que mes déceptions provenaient surtout d’un je ne sais quoi d’impossible à satisfaire, un espoir sans raison et sans fondement. Était-ce la leçon de Noël ? J’aurais voulu un jour exceptionnel, une joie généralisée, une sorte de miracle d’abandon heureux. Pour ma part, j’y trouvais souvent mon compte, mais je devinais toujours autour de moi, une faille, un chagrin, une déception. Nous nous faisions des petits cadeaux et je crois que j’avais plus de plaisir à les offrir qu’à en recevoir. Quelle n’était pas ma tristesse, lorsque je voyais le dessin ou le petit bricolage inévitablement négligé !

    Quand mon père avait ramassé tous les papiers déchirés et froissés dans un grand sac, nous pouvions jouer avec nos cadeaux en attendant le déjeuner, un copieux et savoureux repas de fête. Nous étions une vingtaine autour de la table et les plaisanteries des grands fusaient, pas toujours très fines. À la fin du repas nous filions dans le jardin, histoire d’utiliser les nouvelles patinettes, les pistolets à bouchon…, nous montions à l’étage pour déployer le train électrique, ses nouveaux wagons et aiguillages. En général, s’en suivait une séance de Pathé baby, Charlot patine, Laurel et Hardy, La Famille quinze tonnes et les films de famille. Les commentaires étaient toujours les mêmes et nous faisaient toujours rire. Après un dîner léger, je retrouvais mon lit avec un curieux sentiment d’inachevé, un rien d’amertume.

    Aujourd’hui, je retiens pourtant de ces jours anciens une satisfaction profonde, le souvenir du salon et de la famille réunie, de la salle à manger et de ses rires. Je retrouve la fraîcheur du jardin, l’odeur des enfants penchés sur les rails du train électrique, le souvenir d’un compagnonnage, si précieux que nous nous attachons, tous à le préserver.

    Hier, alors que nous étions entourés de nos enfants et petits-enfants, peut-être grâce aux années accumulées et à la sagesse acquise, j’ai vécu un Noël proche de celui qu’enfant j’espérais.


  • La fin des gilets jaunes ?

    Samedi, en sortant de Beaubourg, nous nous sommes trouvés mêlés aux gilets jaunes et aux casseurs.

    Nous voulions aller à l’exposition du peintre Zao Wu Ki, mais nous nous étions trompés de musée et nous en avions profité pour revoir les collections permanentes.

    Nous avions continué sur l’exposition d’Ando Tadao, l’architecte qui aménage juste à côté de chez nous l’ancienne bourse du commerce pour la collection Pinault. De nombreuses maquettes, des photos et des vidéos nous en montraient les réalisations : une église dont la croix émerge d’un lac, des jardins suspendus et de nombreux bâtiments publics ou logements entre simplicité et sensualité, accords rares de lumière, d’eau, de plantes.

    C’est après un goûter réconfortant à la cafétéria que nous avons affronté le froid et la pluie qui s’était mise à tomber.

    Arrivés au bout du Forum des Halles, au coin de la rue Montorgueil, nous avons été dépassés par une centaine de gilets jaunes qui hurlaient « A bas le capitalisme ». Flegmatiques, mais surtout pressés d’aller nous mettre au sec, nous avons enfilé la rue de Montmartre. Derrière nous, le ton montait. Le temps d’exprimer mes craintes, une bande de jeunes a surgi en courant, vêtus de noir, cagoulés, visiblement prêts à tout. J’ai tout de suite constaté qu’ils n’avaient pas de bâtons. Alors que nous tournions dans la rue Étienne Marcel, nous avons entendu une cavalcade. C’était une armée de policiers, casqués, matraques à la main qui couraient à leur poursuite. À cette vitesse, les jeunes n’avaient guère la possibilité de casser quoi que ce soit et la rue Montorgueil n’avait  rien à craindre. Je me suis souvenu d’une conversation à la pharmacie entre commerçants du quartier qui évoquaient fermetures et blindages quelques jours auparavant. J’avais alors pensé que nous étions loin des Champs Elysées, de l’Arc de triomphe, et j’avais jugé leurs inquiétudes superflues…

    Virginie venue de Rennes avait passé le samedi avec nous. Elle devait prendre le métro près des Halles. Nous avons été soulagés de savoir qu’elle avait rejoint la gare Montparnasse sans difficultés et qu’elle était dans le train.

    Malgré une moindre participation, difficile de savoir si le mouvement des « gilets jaunes » est terminé… Suite au prochain numéro.

     


  • Les Gilets jaunes 3

     

    Ras le bol de l’expression « gilet jaune », un million de fois rabâché et qui recouvre n’importe quoi.

    Ras le bol de l’atmosphère délétère qui règne sur Paris et sur la France.

    Ras le bol des extrémistes et des pillages.

    Ras le bol de la confusion actuelle qui mélange justes revendications et casse.

    Ras le bol des images complaisantes de violence à la télévision ou sur les mobiles.

    Ras le bol des réseaux sociaux qui se substituent à de véritables contacts.

    Ras le bol des hypocrites qui justifient les violences parce « qu’ils ont de la peine pour ceux qui souffrent », mais qui ne partageraient pas.

    Ras le bol du vacarme des grandes gueules et du silence des vrais laissés-pour-compte de la société.

    Ras le bol de l’omniprésente expression « rond-point bloqué », ces innombrables et  coûteux ronds-points qui entravent la circulation parce que les automobilistes ne veulent pas lever le pied.

    Ras le bol de l’ennui qui sème le vent dans l’espoir d’une tempête chez les autres.

    Ras le bol des irresponsabilités qui fabriquent, entre autres, de douloureuses et coûteuses « familles monoparentales ».

    Ras le bol de la haine et de la boue qui prolifèrent sur les réseaux sociaux, des « fake news », et de ceux que s’y vautrent.

    Ras le bol des images de gens beaux, riches et heureux que propulsent les réseaux sociaux, des « likes » et de leur comptabilité.

    Ras le bol de l’argent-roi, du goût du pouvoir, de la popularité indispensable et de la réussite obligatoire. De l’air !

    Ras le bol de l’incapacité à se parler et de sourire à son voisin, ras le bol des grincheux systématiques.

    Vivement le printemps !

    Que vivent l’écoute, le dialogue, la responsabilité, l’amitié, la tolérance, la dignité, le partage et la solidarité !

     


  • Réponse à une amie suisse

     

     

    Ton message m’a touchée, chère H. un grand merci d’avoir pensé à nous lors des manifestations de samedi.

    Quand nous sommes partis vers 16 h 30, pour un concert d’Hervé à Trappes, la situation était à peu près la même que le samedi précédent. Une fois là-bas, Véronique nous a informés que la violence s’était déchaînée dans tout Paris. Nous n’y avons pas trop cru, habitués au goût du sensationnel des médias. Le concert était exceptionnel de qualité et nous sommes repartis avec des cousins par l’autoroute sans rien remarquer de particulier. Après avoir dîné chez eux dans le 16e arrondissement, nous sommes rentrés en métro vers 22 h 30. Métro bondé, beaucoup de jeunes, atmosphère plus festive qu’insurrectionnelle. La station Trocadéro était ouverte et nous ne nous sommes doutés de rien. Sortis à Grands Boulevards, nous avons vu des déchets entassés, mais pas de traces d’incendies. Là aussi, jeunes et atmosphère festive, bar à vins. La Bourse était tranquille.

    Sitôt arrivés, nous avons ouvert la TV. C’est ainsi que nous avons vu les images « insurrectionnelles », jusque là aperçues sur nos mobiles.

    Comme tu le vois, bien qu’habitant au centre de Paris, nous sommes passés entre les gouttes.

    Qu’en penser ? Oui, ces scènes de violences et de pillage sont désolantes. Être de tout cœur avec les gilets jaunes ? Bien sûr ! Ils témoignent d’existences difficiles et d’un sentiment d’abandon, d’injustice devant la fracture sociale, mais c’est aussi à travers les réseaux sociaux et la TV, les conforter vers le pire. Beaucoup venaient de provinces privées d’espoir, transportés par des cars où ils avaient eu tout le temps de s’échauffer.

    Le mélange explosif des extrémistes, surtout de gauche, techniquement aguerris, ne demandait et ne demande encore qu’à faire sauter la baraque, aidés par un grand nombre de casseurs venus des banlieues pour « faire leur marché de Noël ». Oui,  la situation devient de plus en plus dangereuse, attisée par la facilité de communication des réseaux sociaux, déversoirs de haine et de fake news. Moyen aussi pour les « gilets jaunes » de faire preuve d’utopie, un peu dans l’esprit des printemps arabes. Communiquer n’est pas se structurer. Sans véritables interlocuteurs, la marge de manœuvre d’Emmanuel Macron est réduite !

    Pour ma part, je trouve qu’il a manqué d’empathie à l’égard des difficultés quotidiennes d’une France qui rame !

    La police a été remarquable, mais elle fatigue. J’en ai discuté avec un ami, commissaire et syndicaliste, il estime qu’elle n’a pas vocation à se substituer au politique. Il ne faudrait pas qu’à son tour, elle s’estime insuffisamment considérée.

    Dommage, car l’économie avait tendance à se redresser et on voit mal comment l’étranger va vouloir continuer à  investir dans un pays aussi volatile ! On pouvait espérer une arrivée en France de sociétés dynamiques à la suite du Brexit.

    Ne pourrait-on pas, en tenant compte de cet avertissement, veiller à une plus juste répartition des richesses eu égard aux efforts fournis ? Problème international.

    Pour nous, tu es presque française, nous étant connus à Ferney-Voltaire !

    Comment se sont passés les concerts d’orgue de Lionel ?

    On t’(vous) embrasse bien affectueusement.


  • Un samedi pas tout à fait comme les autres

    Un peu avant  15 heures, je suis partie vers l’atelier. La rue du Louvre et la rue de Montmartre étaient fermées aux voitures. Un cortège de plusieurs dizaines de milliers de personnes sur les grands boulevards bouchait le carrefour. Je pensais à une extension de la manifestation des gilets jaunes tant annoncée dans la presse. Les pancartes dressées me détrompèrent : Ras le viol, Women rights, Nous ne sommes pas des objets… C’était la manif, « Nous toutes », contre les violences faites aux femmes. Je me suis engouffrée dans le métro.

    La manifestation des gilets jaunes contre les taxes devait avoir lieu au Champs de Mars et je m’attendais à ce que ma station soit fermée. Mais les haut-parleurs égrenèrent celles qui desservaient les Champs Élysées. Les gilets jaunes s’étaient donc emparés de « la plus belle avenue du monde », à proximité de l’Élysée.

    Le métro était bondé. À Richelieu-Drouot, un couple s’insinua avec un panier dans lequel miaulait un chat. Des touristes étrangers en groupes compacts montraient une sorte d’étonnement fataliste. Une trentaine d’élèves venue de je ne sais quel pays renonça à monter dans la voiture.

    À l’Opéra, déboulant des Galeries Lafayette et du Printemps, des acheteurs les bras pleins de paquets, de sacs remplis de vêtements venus profiter du Black Friday, ces quelques jours de soldes avant Noël qui proposent des rabais plus ou moins réels. Yeux encore écarquillés, ils semblaient bénéficier d’un portefeuille plus garni que celui des manifestants vêtus des gilets sortis du coffre de leur voiture.

    Le nombre de stations fermées restait inquiétant. Madeleine, Concorde, Champs Élysées-Clémenceau, Georges V, Charles de Gaule-Etoile, Miromesnil, Saint-Philippe-du-Roule, Chambre des Députés, Solférino, Varennes… Ça chauffait au-dessus de nos têtes ! Je suis sortie à La Motte-Picquet, d’habitude fermée lors des manifestations sur le Champ de Mars. Je n’y pas vu trace d’agitation, seulement de nombreux jeunes venus prendre un verre sur les terrasses de l’avenue. Paris était à la fête, comme tous les samedis.

    À l’atelier, j’ai ouvert mon mobile. En effet, ça castagnait sur les Champs Élysées. Des brasiers de palettes de bois illuminaient des amoncèlements de barrières métalliques. Mais pour qui sait décrypter les mouvements parisiens, rien de vraiment dramatique. La police conservait son sang-froid et les casseurs à cagoule n’étaient pas si nombreux. Des boutiques saccagées, certes, mais pas de victimes. Un véhicule et une moto flambaient, mais les manifestants dans leur majorité gardaient leur calme malgré l’absence de service d’ordre. La révolution tant annoncée serait peut-être pour plus tard.

    À mon retour, le métro était encore comble. Touristes, jeunes et familles. Les gilets jaunes? A peine visibles, pliés dans les poches. Par la suite, les télévisions se firent un plaisir de répandre des images apocalyptiques dans le monde entier.


  • Trois jours à Vienne (suite 4)

    La plupart du temps, les récits de voyage débités en monologue lors d’un dîner m’ennuient à mourir. J’espère ne pas infliger à mes lecteurs une telle épreuve.  Naturellement, vous êtes libres de lire ou de ne pas lire ces chroniques. Elles sont écrites pour le plaisir de partager avec chacun d’entre vous des découvertes qui nous réunissent.

    Après Schönbrunn, nous sommes allés à l’Albertina, déçus d’y trouver des fac-similés en lieu et place des dessins attendus, puis au Kunsthistorisches Museum à l’exposition Breughel, la plus importante sur ce peintre jamais proposée dans le monde. Il faut dire que grâce aux achats des Habsbourg de son vivant, Vienne possède la plus grande partie de ses peintures, dessins et gravures. Magnifique ! Mais comme souvent dans ce genre d’exposition, difficile de voir les œuvres. Trop de monde ! Probablement par souci de conservation, la lumière crépusculaire nous laissa un peu sur notre faim. Cet hiver, j’étudierai les gravures dans le catalogue.

    Dégustation des fameuses pâtisseries viennoises dans le non moins fameux restaurant circulaire du musée, juste avant la fermeture. Puis promenade dans la vieille ville, nous fiant un peu au guide et beaucoup à notre intuition. C’est ainsi que nous avons déambulé dans le passage Kinski, que nous avons reculé devant le Café Central bondé, et que sans le savoir j’ai pris une photo de la maison de Beethoven où fut composée la neuvième symphonie. L’histoire de Vienne déborde de génies créateurs, cela en devient presque banal… Errer dans une telle ville aide à vivre..

    Dîner d’un minihamburger au Mac Do (eh oui !) en compagnie de très jeunes adolescents, rieurs et charmants, sans parents malgré l’heure tardive, avant de retourner à l’hôtel pour un repos bien mérité après une quinzaine de kilomètres à pied.

    Le lendemain matin, avant de prendre l’avion, nous avons eu le temps de visiter la maison de Freud (encore un grand homme !) et de nous imprégner de son univers pieusement reconstitué par sa fille Anna, de déjeuner devant la grande roue du Prater (au retour, revu le film Le Troisième homme).

    Nous apprécions les séjours courts, forts d’imprégnation. Mais nous n’avons pas vu le Belvédère et ses Klimt (peut-être en suis-je un peu saturée…), ni la campagne alentour dont J.M.H. nous avait vanté les petits restaurants. il faudra revenir

    Fin

     


  • Trois jours à Vienne (suite 3)

    Le lendemain matin, nous nous sommes dirigés vers Schönbrunn en métro..

    À propos de ce métro, une ancienne ligne de chemin de fer, je dois avouer que durant ce séjour à Vienne, nous sommes passés à côté de l’Art nouveau d’Otto Wagner. J’ai bien ressenti une harmonie particulière le long du trajet, le comparant à son avantage aux RER de la région parisienne, le croyant d’une époque proche de la nôtre, sans me douter qu’il datait du début du XIXe siècle. À plusieurs reprises, j’avais remarqué plusieurs façades ouvragées au centre de Vienne sans vraiment m’y arrêter. Il a fallu un petit mot d’Anne P. sur l’église de Steinhof pour que j’y prête une réelle attention. Hélas, trop tard. Mais nous reviendrons.

    En évoquant Schönbrunn, Yves A. m’avait prévenue : « Par rapport à ce qu’on m’en avait dit, je l’ai trouvé beaucoup plus petit que Versailles. Vous me direz ce que vous pensez ! »

    En effet, s’il a été construit sur le modèle de Versailles une trentaine d’années plus tard, il n’en possède pas la grandeur. Remanié par l’impératrice Marie-Thérèse, son style rococo est plus riant, sans être véritablement familier, c’est le moins qu’on puisse dire. On imagine volontiers derrière les façades ocre jaune, Joseph II, le fils de Marie-Thérèse, frère de Marie-Antoinette, monarque du Siècle des Lumières. Bien que de tempérament austère, il avait commandé à Mozart L’Enlèvement au sérail et avait soutenu Les Noces de Figaro, contre l’opinion d’une partie de la noblesse de Vienne qui jugeait l’opéra subversif.

    La visite se déroula dans les appartements de François Joseph, lequel y passa tous les étés de sa longue vie (1848-1916). Une sorte de réplique du palais viennois, peut-être un peu moins solennelle et plus familiale. Nous avons déambulé dans les appartements du couple très épisodique qu’il formait avec Sissi, de leurs enfants élevés sous la coupe de la reine Sophie, la mère abusive de l’empereur. Un revenez-y peut-être de trop, mais comment ne pas visiter Schönbrunn, après avoir vu Élisabeth d’Autriche incarnée par Romy Schneider accueillir Louis II de Bavière sur le grand escalier extérieur dans le film de Visconti ? Ah,  leur déambulation dans la Grande galerie… !  Mais mon souvenir est lointain, je me trompe peut-être de château … Je me souviens surtout que Visconti évoquait avec une terrible acuité la décadence de l’empire austro-hongrois.

    Nous nous sommes promenés dans le parc effectivement beaucoup moins grand que celui de Versailles, puis nous avons déjeuné sur la terrasse de  l’orangerie. En raison de la saison, nous n’étions pas trop nombreux comme dans la plupart des sites touristiques aujourd’hui. Matinée délicieuse sous le soleil d’automne.

    (à suivre)


  • Trois jours à Vienne (suite 2)

    Partager avec vous ces moments, c’est un peu les revivre.

    Marcel et Jacqueline, nos voisins de Tougin aiment commencer l’année en écoutant le concert du Premier janvier retransmis dans quatre-vingt-dix pays depuis de la salle du Musikverein de Vienne. Concert consacré aux Strauss, valses, polkas dirigées par les plus grands chefs d’orchestre. Une tradition qui réunit plus de cinquante millions d’auditeurs dans le monde entier.

    Gilles avait eu l’idée d’y réserver des places pour un concert Mozart (en costumes d’époque) et je craignais une manifestation à visée touristique.

    Une foule internationale, beaucoup de Chinois probablement propulsés par des tours opérateurs, se pressait dans le hall d’entrée, mais on y voyait aussi des Viennoises en robes du soir et bijoux, des hommes en costumes sombres. Nous avons reconnu la salle, un peu moins dorée qu’à la TV, moins étincelante, car moins éclairée, mais tout de même révélatrice de la Vienne de la fin du XIXe siècle et de ses fastes. Plusieurs couples autrichiens d’un certain âge en habits de fête ont pris place autour de nous avec une certaine gravité. C’était peut-être une tradition de venir y célébrer des souvenirs ou des anniversaires de mariage.

     

     

     

    Les airs les plus connus de Mozart se sont succédé comme un jeu de devinettes. La Petite musique de nuit, la Marche turque et bien d’autres. Le public applaudissait avec bonheur comme s’il s’agissait d’un rituel incontournable. L’homme à ma droite posa sa main sur celle de sa compagne et leurs pouces se caressèrent avec une tendresse de vieux couple pendant le duo d’amour de Tamino et Pamina.

     

    Et Papageno s’est avancé en dansant au son de la flûte. Après avoir posé sa cage à oiseau d’un geste tranquille, il commença à chanter. Après quelques phrases, il se tut, entoura de ses bras les jambes du chef d’orchestre et glissa lentement vers le sol. Le chef baissa les yeux avec amusement et dirigea de plus belle son orchestre en redingotes et gilets XVIIIe. Mais l’oiseleur ne se releva pas. Le chef se pencha sur lui une seconde et se dirigea d’un pas ferme vers la coulisse. Il revint accompagné d’un monsieur en costume sombre qui fit un signe sur le côté. L’oiseleur fut évacué inanimé, porté par les pieds et par la tête. On avait cru à une blague, il y eut un flottement.

    Le concert allait-il continuer ? Le chef d’orchestre se tourna vers la salle. « It’s life ! ». dit-il après un mot d’excuse. Une jeune femme surgit en robe à paniers et embraya sur l’air de la Reine de la nuit. Aussitôt après et sans transition, le chef d’orchestre lança le Beau Danube bleu, puis la Marche de Radestzki. Dans la plus pure tradition du premier janvier, il incita le public à frapper en rythme dans ses mains avec un entrain peut-être démultiplié par l’angoisse des circonstances. Et nous sommes sortis sans rien savoir du sort du pauvre Papageno. Ainsi va la vie viennoise ! Finalement à l’image de celle de Mozart…

    Gilles me dit qu’il lui avait vu remuer les pieds.

    (à suivre)

     


  • Trois jours à Vienne (suite)

    Vite avant d’oublier ! Le lendemain mardi, nous sommes donc repassés devant le Rathaüs où le cirque se démontait. Une noria d’hommes costauds s’employait à transporter des tubes de fer et des planches de bois. Ils travaillaient dans un silence qui contrastait avec le bruit de la veille. Noria bien rodée dont on devinait que chaque mouvement était immuable. Il y a quelque chose d’émouvant dans ce nomadisme perpétuel. L’un d’entre eux a dû comprendre mon sentiment ; quand je les ai photographiés, il m’a comme remerciée d’un chaleureux sourire. Mais plus tard, j’ai appris que le cirque Roncalli présentait un célèbre numéro de fauves. Même si ces animaux sont nés et ont toujours vécu en captivité, je ne supporte pas de les voir tourner en rond dans leurs minuscules enclos au lieu de courir dans la savane africaine.

    J’ai ressenti une impression un peu semblable lorsque nous avons visité le Hofburg. Les ors et l’immensité du palais impérial ne cachaient pas les impératifs de la cour, de l’étiquette, le travail acharné de l’empereur, les requêtes, les fastes obligés. Une immense cage dorée. Ce genre de visite ne m’inspire aucun désir de pouvoir.

     

     

    Comme je comprends l’impératrice Élisabeth d’Autriche d’avoir fui Vienne ! Le musée qui lui est consacré à l’étage supérieur est touchant, d’autant plus qu’à Genève nous passons souvent sur le quai où elle fut assassinée. Je ne lui envie pas ses wagons particuliers, ses robes magnifiques, ses dames de compagnie et même pas ses palais italiens et ses palaces suisses. J’y vois plutôt des voyages à escarbilles de suie, des robes qui serrent et qui piquent, des accompagnatrices encombrantes, des palais à gérer, des courbettes serviles. La liberté me semble faire mauvais ménage avec l’apparat,aujourd’hui comme hier.

     

     

    Heureusement qu’ensuite nous avons visité la maison de Mozart.

    Parmi les douze maisons qu’il habita à Vienne, elle abrita de 1784 à 1789, les moments les plus heureux de sa vie. Il y composa les Noces de Figaro. Une plaque à son nom était posée sur une belle maison ancienne. Ne voyant pas de porte nous sommes allés nous renseigner dans l’hôtel-restaurant à sa gauche. Nous sommes entrés par un porche dans une cour surmontée d’une verrière, sorte de salon d’hiver assez luxueux où se tenaient des clients du genre jet set. Le garçon ne se fit pas prier et nous conduisit jusque dans la rue pour nous faire contourner l’angle de la maison.

     

     

    Quel plaisir d’être plongé dans l’univers de Mozart ! Le musée englobe les pièces qu’il a occupées avec sa famille. Les salles aux planchers d’époque distillent à l’aide de tableaux, de documents et d’un audio guide très bien fait  des informations sur sa musique et son mode de vie. Passionnant ! Le salon est reconstitué grâce à des meubles qui ressemblent à ceux retrouvés dans un inventaire. On peut observer la Vienne de la fin du XVIIIe siècle, ses partitions, ses amis, sa femme Constance et leurs enfants, des costumes et des photos de mises en scène à travers les âges. Un régal pour qui aime Mozart et c’est mon cas ! Son masque mortuaire présente une architecture puissante assez éloignée de la légèreté associée à son nom. À cette époque, Mozart menait grand train et recevait énormément. Comment a-t-il pu travailler dans un tel capharnaüm ? Une maquette montre une vaste cour dans laquelle étaient disposés beaucoup de lits destinés autant à ses amis de passage qu’aux musiciens des concerts qu’il proposait à un public assis sur une cinquantaine de chaises disposées en rangs d’oignons. J’imaginais le bouillonnement qui avait dû y régner.

    En sortant, j’ai compris qu’il s’agissait probablement de la cour de l’hôtel voisin. Comme il est émouvant de s’introduire par hasard dans l’univers d’un génie !

    (à suivre)

     


  • Trois jours à Vienne

    La descente sur Vienne était annoncée depuis un bon moment, le Danube d’une couleur bleu saphir se frayait un chemin sinueux entre les collines assombries par le soir. Montagnes ou collines ? En avion, le relief perd de sa réalité même à faible altitude. Devant nous, le large ruban qui brillait au soleil couchant semblait prendre possession de la métropole étalée dans la plaine, agglomération qui me parut un peu incongrue après les centaines de kilomètres de forêts et de clairières survolées, en Lorraine et en Allemagne.

    Le temps d’attendre la valise sur le tourniquet, c’est de nuit que nous sommes sortis du métro à l’arrière du Rathaus (le Nouvel hôtel de ville, de style néogothique). De larges avenues désertes, quelques voitures, une lumière insuffisante pour lire le plan nous laissèrent perplexes après le remue-ménage de Paris. Nous nous attendions à des foules, à de la musique, à des cafés. Une jeune fille a surgi d’on ne sait où pour nous indiquer la direction de l’hôtel. Ce premier contact fut à l’image des trois jours qui suivirent : une sorte de nonchalance inventive et efficace de la part de tous.

    Notre hôtel, un ancien palais, à l’époque découpé en petits appartements avait abrité Stefan Sweig avant son départ pour Berlin. Aujourd’hui, sa façade, son hall, son escalier majestueux, son intérieur moderne et confortable n’ont plus grand-chose de commun avec le logement du jeune journaliste-écrivain.

    Après avoir déposé la valise, nous sommes passés devant le parvis du Rathaus où le cirque Roncalli, un cirque baroque à la hongroise, terminait sa représentation dans une débauche de lumière. Avec des cris de joie et des applaudissements, la foule s’est déversée dans le parc.

    Un énorme orgue de barbarie, le beffroi illuminé du Rathaus accompagnaient cette sortie rieuse. J’ai pris des photos, ratées pour je ne sais quelle raison, et c’est bien dommage. Celle-ci est prise  le lendemain au démontage..

    À la sortie du parc, de l’autre côté du Ring ce vaste boulevard circulaire que se partagent les tramways, les voitures, les cyclistes, les piétons, et qui longe monuments et palais avec une grâce incompréhensible, un public élégant entrait dans le Burgtheater, le théâtre de la cour.

     

    Le café Landtmann nous tendait les bras. En pensant à Freud un habitué des lieux, nous avons commandé un goulasch sur la terrasse. Choix du soir peu judicieux. Après une petite exploration de la vieille vile, de retour à l’hôtel notre sommeil fut agité.

    (à suivre)