Nous avons renoué avec les dîners de Nicky, qu’il continue d’assurer depuis le décès de Noëlle. Il envoie une invitation à une vingtaine de personnes en précisant le menu, mardi un cassoulet (il est originaire de Pau). Selon les réponses, il concocte des tablées surprises. Ce soir-là, trois de ses petits-enfants s’étaient joints à nous et à un couple de notre âge.
Quel plaisir ce fut de discuter de leurs études ! Stage de Science Po auprès d’assistants parlementaires à l’Assemblée nationale pour l’un. Pour les deux jeunes filles ayant laissé leur famille à Singapour, l’une étudie dans une école de cinéma (elle veut se spécialiser dans le montage) et pour l’autre, démarrage du droit à Dauphine. Le mari de l’autre couple avait fait ses études à Science Po, il y a près de cinquante ans. Ils s’étaient rencontrés dans la haute fonction publique et ils évoquaient leurs relations avec les politiques. Elle avait un temps été chargée de la communication des ministres, en particulier de celle de Laurent Fabius. Ils avaient vu défiler toutes les couleurs politiques. Lui, avait travaillé à l’Équipement, en particulier pour la ville nouvelle de Marne-la-Vallée. Ils avaient passionnément aimé leur métier. Le jeune garçon buvait leurs paroles, visage un peu tendu, le contingent de l’école étant passé dans l’intervalle de quelques centaines à cinq mille élèves.
Quel soulagement ce fut de recevoir un message de Daria ! Elle est revenue à Paris. Nous nous sommes retrouvées à l’atelier. Elle m’a raconté la vie des jeunes et des femmes au milieu de la répression en Iran. Alors qu’il distribuait des tracts lors d’une manifestation, un ami étudiant a été arrêté par un gardien de la révolution surgi d’une ambulance. Toute sa famille a été poursuivie. Jusqu’à l’arrivée au pouvoir du président Ebrahim Raïssi, Daria était heureuse à chaque retour en Iran de voir combien la société évoluait, à la fois dans la modernité et dans le respect des religions, de la culture et des traditions. Elle était fière de cette évolution vers un humanisme inventif. La répression s’est abattue sur les jeunes comme un cataclysme. Elle m’a dit que beaucoup des gardiens de la révolution, représentants de la police des mœurs, sont des arabes mercenaires venus de Syrie ou d’ailleurs et ne parlent pas persan. Selon elle, les jeunes n’ont pas peur et ne reculeront pas, contrairement aux précédentes révoltes. Mal à l’aise à Paris dans l’attente d’une réponse pour un postdoc, elle pense sans cesse à son pays et voudrait y retourner.
Ce matin dimanche, café avec Pierre derrière Saint-Eustache. Quand un peintre rencontre un autre peintre, ils se racontent… des histoires de peinture. Malgré les perpétuelles exigences qui nous font souvent peiner sur notre travail, nous avons parlé de notre chance. Pinceau à la main, le temps et l’univers se dilatent, nous ignorons l’ennui. Nous avons un peu discuté d’art contemporain, un art extraverti, qui s’adresse au plus grand nombre. Nous avons évoqué les façades d’immeubles peintes, appréciant certaines, jugeant beaucoup d’autres trop envahissantes.
Nous nous sommes quittés pour rentrer déjeuner, lui, vers le Pont Neuf, moi par la rue Montorgueil. Une queue démarrait un peu avant Stohrer. Songeant encore à notre conversation, j’ai continué machinalement vers la pharmacie. Quand j’ai réalisé qu’elle s’étirait sur plus de cent mètres, je suis revenue sur mes pas pour regarder quelle boutique pouvait intéresser ces jeunes au point de faire le pied de grue durant plus d’une heure, une occupation à laquelle je ne me plie qu’en cas de nécessité absolue.
La queue démarrait d’une petite boutique intitulée « Fou de pâtisseries » en lettres fines et dorées sur fond bleu-nuit. Elle proposait des pâtisseries destinées à un nouveau public, du genre petits cannelés ou tartelettes architecturées. La file indifférente à ses babas au rhum, à ses gâteaux moussus bouchait l’entrée de l’illustre et historique Stohrer. On remarque de temps en temps à Paris des files de ce genre, composées de jeunes à baskets blanches devant des magasins qui paraissent insignifiants. Là, il s’agissait plutôt de trentenaires, en couple ou célibataire. Effet internet ? Pourquoi n’ai-je jamais possédé cet instinct grégaire ?
Lundi, nous sommes allés à Faremoutiers pour les obsèques de mon cousin Philippe C. et c’est une autre histoire.
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