Un peu avant  15 heures, je suis partie vers l’atelier. La rue du Louvre et la rue de Montmartre étaient fermées aux voitures. Un cortège de plusieurs dizaines de milliers de personnes sur les grands boulevards bouchait le carrefour. Je pensais à une extension de la manifestation des gilets jaunes tant annoncée dans la presse. Les pancartes dressées me détrompèrent : Ras le viol, Women rights, Nous ne sommes pas des objets… C’était la manif, « Nous toutes », contre les violences faites aux femmes. Je me suis engouffrée dans le métro.

La manifestation des gilets jaunes contre les taxes devait avoir lieu au Champs de Mars et je m’attendais à ce que ma station soit fermée. Mais les haut-parleurs égrenèrent celles qui desservaient les Champs Élysées. Les gilets jaunes s’étaient donc emparés de « la plus belle avenue du monde », à proximité de l’Élysée.

Le métro était bondé. À Richelieu-Drouot, un couple s’insinua avec un panier dans lequel miaulait un chat. Des touristes étrangers en groupes compacts montraient une sorte d’étonnement fataliste. Une trentaine d’élèves venue de je ne sais quel pays renonça à monter dans la voiture.

À l’Opéra, déboulant des Galeries Lafayette et du Printemps, des acheteurs les bras pleins de paquets, de sacs remplis de vêtements venus profiter du Black Friday, ces quelques jours de soldes avant Noël qui proposent des rabais plus ou moins réels. Yeux encore écarquillés, ils semblaient bénéficier d’un portefeuille plus garni que celui des manifestants vêtus des gilets sortis du coffre de leur voiture.

Le nombre de stations fermées restait inquiétant. Madeleine, Concorde, Champs Élysées-Clémenceau, Georges V, Charles de Gaule-Etoile, Miromesnil, Saint-Philippe-du-Roule, Chambre des Députés, Solférino, Varennes… Ça chauffait au-dessus de nos têtes ! Je suis sortie à La Motte-Picquet, d’habitude fermée lors des manifestations sur le Champ de Mars. Je n’y pas vu trace d’agitation, seulement de nombreux jeunes venus prendre un verre sur les terrasses de l’avenue. Paris était à la fête, comme tous les samedis.

À l’atelier, j’ai ouvert mon mobile. En effet, ça castagnait sur les Champs Élysées. Des brasiers de palettes de bois illuminaient des amoncèlements de barrières métalliques. Mais pour qui sait décrypter les mouvements parisiens, rien de vraiment dramatique. La police conservait son sang-froid et les casseurs à cagoule n’étaient pas si nombreux. Des boutiques saccagées, certes, mais pas de victimes. Un véhicule et une moto flambaient, mais les manifestants dans leur majorité gardaient leur calme malgré l’absence de service d’ordre. La révolution tant annoncée serait peut-être pour plus tard.

À mon retour, le métro était encore comble. Touristes, jeunes et familles. Les gilets jaunes? A peine visibles, pliés dans les poches. Par la suite, les télévisions se firent un plaisir de répandre des images apocalyptiques dans le monde entier.