Passe sanitaire, Louis-Ferdinand Céline.

Déjà le 10 août, espérons une belle arrière-saison ! Des nuages alternent avec des éclaircies. Un pâle soleil cherche à traverser un plafond brumeux. Heureusement, la météo nous promet au moins une semaine de beau temps.

Le Conseil constitutionnel a jugé légale l’instauration d’un passe sanitaire pour certains lieux publics, pour les hôpitaux, les restaurants, les cinémas et les lieux de travail. Une minorité de Français y voit une grave atteinte à la liberté. Certains s’y opposent comme si leur existence en dépendait, la comparant aux mesures prises par Vichy pendant la guerre. La logique n’a plus cours, on retrouve le fond d’acrimonie mis en branle par les gilets jaunes en 2019. À se demander si la société n’est pas malade, plus ou moins gangrénée par l’insatisfaction et la confusion via Internet.

Je profite du mauvais temps pour retravailler mes anciennes chroniques et les réunir dans des ouvrages numérotés. Exercice déconcertant ! Pourquoi noter un événement plutôt qu’un autre, une rencontre plutôt qu’une autre ? Avec le recul, je ne suis pas certaine d’avoir collé autant que je l’espérais à la réalité des instants vécus. Ai-je suffisamment noté les moments d’attente, et de doute ? À vouloir éviter tout déballage personnel, ne me suis-je pas davantage livrée que je le pensais ? Dis-moi ce que tu vois, qui tu rencontres, ce que tu lis, je te dirai qui tu es.   J’aimerais pourtant par ces lignes m’offrir et offrir à mes lecteurs un espace de respiration, de liberté, hors des jugements péremptoires, attentive à décrire la variété des êtres et des situations.

Écrits autobiographiques, certainement pas. Sociétaux, non plus. Témoignages, non plus. Une fois encore, je me vois poussée à utiliser le mot « inclassable ». Hors catégorie ! Mais qu’y puis-je, incapable que je suis de me fondre dans un groupe ou une pensée collective !

Lu dans Le Monde l’incroyable histoire d’un mètre cube de manuscrits de l’écrivain Céline réapparus soixante-quinze ans après leur disparition. Sympathisant des nazis, auteur de pamphlets antisémites d’une exceptionnelle violence, Céline avait préparé sa fuite vers le Danemark à la fin de la guerre, en 1944. Il avait toujours dit qu’il avait été contraint d’abandonner des manuscrits, dont des romans inédits, dans son logement parisien et qu’ils avaient été détruits. Quelques jours avant sa mort, le romancier écrivait encore dans Rigodon : On m’a assez pris, on m’a assez dévalisé, emporté tout ! Hé, je voudrais qu’on me le rende !

Or, il se trouve que parmi les résistants qui étaient entrés chez lui après sa fuite, un inconnu a soigneusement transporté dans un lieu connu de lui seul la totalité de cette monstrueuse découverte. Bien après, il a révélé l’affaire à un journaliste de confiance, lui faisant promettre de ne jamais révéler son nom et de ne rendre les manuscrits publics qu’à la mort de Lucette Destouches, la femme de Céline. Celle-ci est décédée en 2019, à l’âge de cent six ans. Le journaliste Jean-Pierre Thibaudat a rempli sa mission et les manuscrits sont désormais la possession des ayants droit, deux fidèles de la vieille dame, puisque le couple n’a pas eu d’enfants. Ceux-ci ont fait savoir qu’ils en donneraient une partie à l’État en dation pour le paiement de la succession et disposeraient du reste à leur guise. Quand on sait le prix d’un seul feuillet de la main de Céline, on imagine la fortune que cela représente !

Pour ma part, j’admire le talent imprécateur du célèbre écrivain, mais il me fatigue vite. Je ne fais pas partie de ses admirateurs, m’étonnant même de la passion qu’il suscite chez ceux qui voient en lui le plus grand écrivain du vingtième siècle. Pour ma part, dans cette histoire, je suis surtout fascinée par la personne du résistant qui a recueilli ses manuscrits. Cet homme ne pouvait que mépriser Céline pour son amitié active avec les nazis. A-t-il été tenté de les brûler ? Quel sens de la littérature, quel sens de la liberté d’expression, quelle confiance dans l’avenir lui a permis de dépasser son dégoût ? Quelle pitié pour l’homme déchiré, quel sens de l’humanité et de la responsabilité collective ? Quelle admiration pour une qualité d’écriture difficile à nier ? Je vois dans son attitude tant de questions. Il me semble qu’il a trouvé la meilleure réponse à une œuvre enfermée, bouclée sur elle-même par l’amertume, pour ne pas dire la haine, que de lui offrir la liberté d’exister.