Amélie Nothomb, baronne de la rentrée - Le Temps

Cinq jours après son déjeuner en face d’une helléniste positive, Gilles s’est réveillé avec le nez enchifrené. Patatras, il fallait s’y attendre ! J’ai gambergé : isolement, téléphone aux personnes croisées ces derniers jours. On en prenait pour huit jours de vie au ralenti.

Il a couru se faire tester une énième fois. La connexion internet étant en panne, il a dû retourner pour avoir les résultats. Négatifs ! Quel soulagement ! Nous avons encore pris quelques précautions durant deux jours. Son nez apaisé, nous avons pu lâcher la garde.

C’est le quotidien de tous depuis que le variant omicron se répand, plus de 300 000 personnes infectées chaque jour. Heureusement, beaucoup moins agressif, il supplante à 90 % le variant delta, ne provoquant souvent qu’un gros rhume lorsqu’on est trois fois vacciné, ce qui n’empêche pas les antivax de toujours manifester.

Dans certains pays, on ne badine pas avec le vaccin. Après de nombreuses péripéties, Djokovic, antivax notoire, a été contraint de repartir de Melbourne sans avoir l’autorisation de participer à l’Open d’Australie, tout premier joueur mondial de tennis qu’il est, et malgré ses vingt titres de Grand Chelem. Il ne pouvait y avoir deux poids, deux mesures !

J’en ai profité pour lire Premier sang, le dernier roman d’Amélie Nothomb qu’on m’avait été offert à Noël.

J’ai lu trois ou quatre de ses romans. J’avais trouvé le premier, celui qui a fait sa notoriété, L’Hygiène de l’assassin, un peu trop glauque pour mon goût, j’avais beaucoup ri en lisant sa pantomime dans un bureau japonais de Stupeur et tremblements, je m’étais amusée de sa potomanie en Inde, mais sans plus. Bien qu’il soit impossible de nier la qualité d’écriture des romans qu’elle pond inlassablement année, après année, le personnage excentrique vu lors de ses interviews à la télévision m’intrigue peut-être davantage.

Il y a quelques années, au Salon du livre de Paris, j’étais passée devant son stand. Une trentaine de lectrices y faisaient la queue. Vêtue de noir, coiffée de son chapeau de ramoneur suisse, les yeux pétillants, elle s’informait, répondait, dédicaçait à tirelarigot avec une surprenante délectation. Sur sa droite, une coupe à moitié vide, sur sa gauche des bouteilles de champagne alignées par dizaines comme des quilles. Elle avait déclaré à plusieurs reprises que c’était sa boisson préférée ! Un stand plus loin, un animateur de télévision se morfondait solitaire, le visage lourd de questions.

De livre en livre, elle se promène dans l’univers de sa famille, sorte d’interminable biographie fantasmée. Dans Premier sang, elle fait parler son père à la première personne. Elle raconte son enfance et finit par le récit d’une prise d’otages en 1964, dans l’ancien Congo belge. En tant que consul, promis au peloton d’exécution, il avait évité un carnage grâce à de longues palabres avec les rebelles. Au bout de quatre mois, un commando aéroporté américano-belge était venu libérer les 1600 otages. Elle en fait une épopée qui rend hommage à ce père disparu depuis peu.

Son enfance m’a particulièrement intéressée. Orphelin, il passait ses vacances dans le château familial, chez son grand-père paternel, aristocrate et autocrate, poète, père de treize enfants. Á cette époque les cinq derniers de 6 à 15 ans vivaient à la dure, dans la misère, crevant de faim et de froid l’hiver. Une tribu de sauvages dont personne ne s’occupait. Le père d’Amélie propulsé à l’âge de six ans dans cet univers où chacun ne songeait qu’à survivre avait adoré ses vacances. Il y avait appris la vie !

Avec l’esprit qui la caractérise, Amélie Nothomb s’étend sur une soupe à la rhubarbe, cultivée comme dernier recours par la deuxième épouse, admirative du tyran, seul aliment ingéré par des enfants en haillons dont on ne voyait que les os.

Amélie Nothomb nous transmet les souvenirs de son père, appuyés par ceux de ses oncles et on comprend mieux son caractère étrange, à vif, son écriture exubérante. Elle emploie dans ses interviews un langage impeccable, des phrases longues et fleuries, comme il est très rare d’en entendre.

Il y a déjà longtemps, Marc de la galerie La Hune, qui connaissait le directeur de sa maison d’édition, m’avait raconté qu’elle disposait d’une chambre chez lui lorsqu’elle venait à Paris, et que ce n’était pas toujours facile. Je l’imagine bien volontiers. On devine une forte vitalité qui cache sous des dehors excentriques et drolatiques un besoin débordant de reconnaissance et d’amour. Pour ma part, je la trouve touchante.