Ah, ce soir de la semaine dernière ! De l’Institut à la cour carrée du Louvre, la traversée de la Seine sur la passerelle des Arts dans la nuit miroitante, dont chaque silhouette croisée exprimait un chapitre, un épisode, un instant. Chemin de planches de bois, allée royale suspendue dans le ciel de Paris. La Seine en vaguelettes sauvages soulevées par le vent nous rappelait la fragilité humaine. Elle n’a pas toujours été inscrite dans ses quais de pierre, elle a connu des berges plus instables. Repère d’une ville bâtie sur ses flots, ses promeneurs sauront-ils préserver le renouveau perpétuel de ses inventions poétiques :

Si par hasard

sur l’pont des arts,

tu crois’s le vent,

le vent fripon,

Prudenc’ prends garde à ton jupon

Le phare de la Tour Eiffel balaie inlassablement le ciel.

Pendant ce temps, des armées se massent autour de l’Ukraine à deux mille kilomètres de là. Les hommes aiment la guerre, surtout leurs chefs. On trouve toujours de l’argent pour payer le matériel, des combattants pour risquer leur vie et des victimes innocentes à tuer.

Au théâtre, quai des Grands Augustins, à deux pas de la passerelle des Arts :

Songe, songe, Céphise, à cette nuit cruelle,

Qui fut pour tout un peuple une nuit éternelle.

Figure-toi Pyrrhus, les yeux étincelants,

Entrant à la lueur de nos palais brûlants

Sur tous mes frères morts se faisant un passage,

Et de sang tout couvert échauffant le carnage.

Songe aux cris des vainqueurs, songe aux cris des mourants,

Dans la flamme étouffés, sous le fer expirants.

Peins-toi dans ces horreurs Andromaque éperdue.

Racine. Andromaque. Acte III, scène VIII.

Andromaque évoque la guerre de Troie. Pas un mot, pas une virgule de trop. Dix ans après sa fin, rien n’est oublié !

Et, je pense à la passerelle des Arts, à ce qu’il y a de mieux chez l’homme, cette poésie interne qui lui permet de vivre dans les difficultés, qui lui permet de colorer la vie sans la brutaliser, à extraire le pire et le meilleur des êtres au-delà de la peur, dans la saveur et le plaisir de l’autre, aux sommes d’humanité que représentent un musée, une bibliothèque. La semaine dernière dans l’obscurité scintillante, j’ai presque conçu l’espoir que nous allions dépasser les troubles et les conflits qui se multiplient actuellement dans le monde, exacerbés par la pandémie et le changement climatique.

Cueillons le jour, l’amour et l’amitié, autant que faire se peut !