Comme le temps passe vite ! Les semaines défilent les unes après les autres, aussitôt vécues, aussitôt disparues. J’en laisse quelques traces dans ces lignes.
Le nouveau confinement ne me gène pas, au contraire, je peux aller travailler dans des métros presque vides. Avant la pandémie, le retour de l’atelier devenait de plus en plus pénible. L’installation du ministère des armées à Balard avait entraîné à la sortie des bureaux une affluence grandissante. De plus en plus de monde, de moins en moins de rames.
L’autorisation de sortie pour achat offre une certaine liberté. Je suis allée quai Voltaire acheter de l’essence de térébenthine. Comme convenu quelques jours plus tôt, j’ai donné rendez-vous à Nicolle. Elle-même à deux pas du Pont Neuf et de l’ancienne Samaritaine restait dans son périmètre autorisé. Nous nous sommes retrouvées en haut de la rampe au bout de la colonnade du Louvre. Le soleil illuminait les peupliers trembles du quai. Quel plaisir de déambuler le long de la Seine scintillante de vaguelettes, de passer sous la passerelle des Arts, d’entendre le piaillement des mouettes, de remonter vers le Louvre, de s’engager sur le Pont du Carrousel comme un envol au-dessus du fleuve ! Plaisir partagé. Nicolle habite le quartier depuis des décennies, elle m’a raconté des souvenirs liés au travail de son père à l’hôtel de la Monnaie. Elle venait le voir avec sa mère. C’est son chez elle depuis toujours. Pas n’importe quoi !
Elle m’a dit de me méfier. La veille, son mari Pierre, lui aussi peintre, avait été contraint de téléphoner sur le trottoir pour pouvoir entrer dans le magasin du Boulevard Saint-Germain. Sur le quai, je me suis battue avec le clavier de mon smartphone (illisible au soleil !), puis j’ai pu frapper à la porte. Je me suis vue autorisée à entrer dans un minuscule sas aménagé devant la caisse. J’ai pris la commande dûment enregistrée et nous sommes revenues par la passerelle des Arts.
Nous nous sommes assises sur un banc à un mètre l’une de l’autre et nous avons regardé les péniches se glisser entre les arches du Pont Neuf tout en bavardant. Quand elle a regardé sa montre, son heure était dépassée, nous nous sommes levées d’un bond et nous nous sommes quittées en haut de la rampe en nous promettant de recommencer.
C’est avec Sara que j’ai de nouveau eu le plaisir de rencontrer une amie en chair et en os, et non pas au téléphone ou en visio. Nous avons toutes les deux en général quelques difficultés à nous entendre sur l’heure et le lieu de nos rendez-vous. Nous avions décidé de nous retrouver devant la porte du Monoprix. Elle travaille sur une thèse à l’ENS, rue d’Ulm ou boulevard Jourdan, et vient de banlieue avec une attestation de la bibliothécaire. Elle peut éventuellement sortir à Châtelet, station sur son trajet, mais en prenant un risque. Avant de partir, j’ai coché sur mon attestation la case « achat », pour bénéficier d’un temps illimité. Alors que je passais devant le Pied de Cochon, elle m’a téléphoné pour me dire qu’elle était dans le sous-sol du Monoprix. Après l’avoir retrouvée et fait quelques achats, nous sommes sorties par la rue Rambuteau. Elle m’a raconté en marchant qu’ayant vu la police en haut du grand escalator, elle était entrée dans le magasin par la porte du bas. Nous avons commencé par déambuler le long de l’allée, mais l’absence de la bande des blacks qui squattent habituellement les bancs nous a alertés. Sara a proposé un petit coin sec, à l’abri des regards. Nous avons parlé tranquillement de choses et d’autres en observant les promeneurs, une légère brume éteignait peu à peu les rayons du soleil. Elle a fait un selfie, puis photographié nos chaussures (voir ci-dessus). Nous grignotions les galettes Saint-Michel achetées dans le Monoprix par précaution, lorsqu’elle m’a dit, impassible et sans bouger « La police ! ».
Je n’ai pas eu le temps de voir la patrouille qu’elle avait ramassé sacs, écharpes. Levée en un clin d’œil, elle s’est dirigée vers Saint Eustache. Elle pensait que nous allions nous quitter là. Mais sans vergogne, certaine peut-être à tort de pouvoir m’expliquer avec les policiers, je l’ai accompagnée jusqu’au métro « Ça me fait penser à quand j’étais petite. Nous nous raccompagnions indéfiniment à la sortie de l’école, d’abord chez l’une, ensuite chez l’autre ». Elle n’a pas compris tout de suite, ce n’est peut-être pas la coutume dans son pays, en Iran. Puis elle a ri « Nous, nous restions indéfiniment devant chez moi et mon père se demandait ce que nous pouvions bien nous raconter. »
Voilà ! Bien peu de chose dans le monde bousculé par la pandémie, les faillites et ses misères. Mais ces petites aventures me semblent « essentielles », comme on dit des commerces encore ouverts durant le reconfinement.
Commentaires récents