• Novembre à Paris

    Semaine médicale. Un nouveau torticolis m’a menée d’un cabinet à l’autre. J’ai continué chez d’autres praticiens, afin d’honorer des rendez-vous parfois pris de longue date.

    J’en suis sortie avec des ordonnances diverses, dont une prescription de kiné. Quand on vieillit, la santé n’est plus automatique. Il faut prendre soin de soi, éviter les gestes brutaux, surveiller des symptômes qu’on négligeait auparavant. La fatigue, signe de surmenage ou d’avertissement ? La douleur musculaire, à traiter par des mouvements appropriés ou par le mépris ? Et toujours cette vague crainte de la tuile qui peut vous tomber sur le dos sous forme de maladie invalidante.

    Au cours du temps, j’ai vu évoluer la pratique des médecins. Autrefois, à peine passés la porte, vous étiez dépossédés de votre corps. Une fois qu’il avait écouté vos glouglous dans son stéthoscope ou scruté vos tympans, lui seul avait le droit à la parole. Des mots succincts précédaient un gribouillis que le pharmacien déchiffrait ensuite avec la plus grande difficulté. L’art du médecin s’apparentait à celui du vétérinaire, à la prescience du médium, fort d’une expérience basée sur l’observation et la palpation.

    Aujourd’hui, ils vous envoient faire des radios, des analyses dont vous lisez en clair les résultats et l’estimation de leurs pathologies, ce qui était inconcevable quand le patient devait être tenu le plus longtemps possible dans l’ignorance de son état, éventuel casse-pieds susceptible d’encombrer la route vers la guérison.

    Désormais, les médecins vous laissent la plupart du temps participer aux diagnostics et aux choix des traitements. Pour ma part, je préfère les façons de faire d’aujourd’hui. Mais la sécurité sociale pourra-t-elle toujours supporter le coût de ces innombrables examens ?

    Quand l’interminable liste des analyses ne révèle aucune anomalie repérée par le gras des caractères, je jubile. Le moindre résultat échappant à la fourchette tolérée me remplit d’un désarroi de même intensité. Mais il me faut assumer, et je peux en parler à mon médecin.

    Ce qui reste inchangé, c’est la douleur qui vous fait vous tortiller, l’angoisse, le besoin de réconfort. Il est par ailleurs de plus en plus difficile de trouver un praticien disponible dans l’urgence.

    Le mieux c’est de n’être pas malade !

    Naturellement, j’ai raté plusieurs événements dont je me réjouissais. En particulier, un exposé à l’ENS par la conservatrice du musée de Nogent-sur-Seine sur la correspondance de Camille Claudel.

    Par chance, bien que handicapée par une claudication intempestive, j’ai pu traverser le Pont Neuf pour aller écouter Chantal Stigliani et Anatole Lieberman jouer les sonates de Brahms et de Chostakovitch, pour piano et violoncelle.

    Une bonne soirée ! Ils sont tous deux tellement en harmonie. Vive et colorée, la sonate de Chostakovitch m’a remis un peu le moral en place. Et puis, j’ai pu retrouver Éric et Tania Heidsieck que je n’avais pas vus depuis longtemps. On projette de nouveau de se rencontrer à l’atelier. J’y ai si souvent écouté Éric !

    Nous avons souhaité l’anniversaire d’Anatole dans la joie, en laissant de côté toute amertume. Juif et russe, il n’a pas boudé son plaisir en dépit des circonstances actuelles.

    Aujourd’hui dimanche, marche contre l’antisémitisme. Pour le moment, pas de perturbations à Paris.

    Et puis, la joie de revoir Barbara ! Partie hier de Ferrare, elle fait escale à Paris dans son petit appartement de Belleville. Mercredi, elle s’envolera vers San Francisco pour passer deux mois chez Roger et Sally. Nous avions tant de choses à nous dire ! Des nouvelles de chacun, les aventures de sa fille, ses projets. Nous nous connaissons depuis plus d’un demi-siècle et les années ne font que bonifier notre amitié.

    Une fois de plus, je suis épatée par la vitalité américaine. En montant ses escaliers, encombrée de son chat et de ses bagages, elle s’est froissé un muscle dans le dos. Après une nuit douloureuse, elle a pris un taxi pour venir nous voir, sans se plaindre et refusant toute aide !

    Elle craint que le volcan qui menace en Islande ne l’empêche de partir.


  • Dans le métro

    Incident dans le métro à Paris : les passagers exaspérés, la RATP attendue  au tournant avant les JO

    Je rentrais de l’atelier.

    Le soir, le métro est plein, surtout ces jours-ci. Profitant des vacances de la Toussaint, la RATP a fermé la ligne 14 pour la raccorder à son prolongement. Les touristes s’entassent comme ils peuvent dans des rames à fréquence réduite.

    Je saisis l’occasion pour vous faire part de mon étonnement. Pourquoi les gens voyagent-ils avec des bagages gros comme des malles et plient-ils sous d’énormes sacs à dos qu’ils vous balancent dans la figure sans même s’en apercevoir ? Si encore, ils s’habillaient avec recherche pour honorer le pays hôte, mais le plus souvent, ils ne portent que des shorts courts et des tee-shirts qui ne recouvrent même pas le nombril.

    Quand Gilles et moi voyageons, nous n’emportons si possible qu’une valise-cabine. Nous y introduisons tout le nécessaire, dont quelques vêtements qu’on peut laver à l’hôtel et renfiler le lendemain matin. Cela évite de faire la queue à la reprise des bagages dans les aéroports.

    Donc ce soir-là, j’avais laissé passer quelques métros bondés et j’étais contente d’avoir pu m’asseoir sur un strapontin à côté de la porte.

    Un homme monte, âgé, le dos courbé, il marmonne des phrases incompréhensibles. Au bout de son bras, un très gros sac, un de ces sacs qui vous signe un sans domicile fixe. Il le jette par terre à mes pieds. Autour, les gens se sont écartés avec prudence. Je lui dis

    — Non, mais ça va pas ? Doucement !

    Il passe devant moi et s’affale sur l’autre strapontin. Le métro démarre, il tourne la tête de mon côté et je m’attends à une volée d’injures. Il me lance :

    — Qu’est-ce que vous avez dit ?

    Autour, la tension monte.

    — J’ai dit « doucement ! »

    — Vous avez dit autre chose !

    — Oui, j’ai dit « Ca va pas ? »

    — Oui, vous avez dit ça !

    Je le regarde. Un visage très ridé, une casquette poussiéreuse, le prototype du clochard. Difficile de lui donner un âge entre 60 et 80 ans. Manifestement, il n’a pas l’habitude d’être regardé et ses yeux me fixent. Des yeux d’un bleu clair, des yeux d’aigue-marine. Après un instant, je vois les rides de son visage remonter vers les tempes. Il retire sa casquette et me dit :

    — Oui, ça va ! J’ai pas besoin de voir un médecin.

    Et il ajoute :

    — Et vous, vous allez bien ?

    Je lui réponds :

    — Oui, je vais bien, merci !

    Je l’ai dit d’une voix forte pour m’amuser. Autour l’atmosphère se détend. Il continue :

    — Tant mieux ! Je vous souhaite une bonne soirée, madame.

    Je lui dis :

    — Merci. À vous aussi, monsieur !

    Il ajoute :

    — Et je vous souhaite une bonne nuit.

    Encore un silence :

    — Et je vous souhaite de faire de beaux rêves !

    Un énorme sourire s’ouvre sur son visage, découvrant des gencives roses dépourvues de dents.

    Au moment où je me lève pour descendre, je l’entends dire :

    — Ce soir, madame, achetez un billet de loto !

    Juste le temps d’ouvrir la porte et je lui lance :

    — Ah ça, surement pas !

    Je ne suis pas contre le jeu, mais je trouve que c’est de l’arnaque, seule la banque est gagnante.

    Il paraît surpris, même incrédule. Il bredouille une phrase que je ne comprends pas, dans le genre : « Comme c’est bête ! »

    Avant que la porte se referme, j’ai eu juste le temps de voir les usagers me suivre du regard en souriant. 

     


  • Guerre et paix

    Aujourd’hui, changement d’heure. Je vais perdre une heure de lumière à l’atelier. On se demande pourquoi un règlement qui n’arrange personne revient tous les six mois d’année en année…

    Voici qu’en bonne Française, je râle.

    Oui, pourquoi râlons-nous sans cesse. Je repense aux gilets jaunes, aux innombrables manifestations qui bloquent Paris presque tous les samedis. La planète nous observe avec un étonnement grandissant. Il n’y a pas longtemps, Sally me l’écrivait de San Francisco.

    Hier, un reportage à la TV sur des papys boomers à Phénix en Arizona. Des milliers sans domicile fixe, cramponnés à une couverture ou un blouson. Ils n’ont rien. On leur vole portable, vêtements, chaussures, papiers. Par deux fois, l’un d’eux s’est fait voler son dentier. Sans protection aucune, ils vont manger et se rafraîchir en été dans les institutions charitables. Ils finissent par mourir sur le trottoir dans l’indifférence générale. Ils ont travaillé toute leur existence, mais ils ne peuvent plus payer leur loyer. Certains ont été riches, mais aucun ne se plaint. J’avais fait ce constat quand nous étions aux USA. On ne s’y plaint pas, jamais. En France, on râle.

    La majorité de la planète vit dans des conditions plus difficiles que nous. Les roquettes pleuvent sur l’Ukraine, sur Gaza. Les armes tuent partout. Les peuples fuient la guerre dans le Caucase, en Afrique, avec la famine pour cause ou conséquence. Les femmes, les enfants, les vieillards paient un épouvantable tribut à cette violence.

    En France, on marche librement sans recevoir de bombe sur la tête, sans la peur quotidienne de perdre un ami, un parent, son logement. En France, on peut rire, on peut s’amuser librement. On peut voyager, on peut se téléphoner et dire ce qu’on veut. On peut même se faire de bons petits plats et recevoir des amis. En France, on peut pratiquer sa religion et si certains dénoncent une intolérance grandissante, les attentats restent pour le moment très rares. En France, on peut même égratigner la loi sans trop de problèmes.

    Il est vrai que nous sommes aussi gagnés par la misère. Beaucoup n’ont pas pu ou su prendre le train de l’économie libérale. Avec l’inflation, il est de plus en plus difficile de boucler les fins de mois. Les sans-abris, la plupart du temps émigrés, débordent des squares et des trottoirs de Paris. La paix est fragile, c’est certain. La dette de l’état est faramineuse, l’économie sur la corde raide, les prisons pleines. Mais globalement, la société fonctionne. Et tout le monde râle. Ca fait penser à ceux qui criaient « Aux loups ! » pour rien et qui n’ont pas bougé quand les loups sont arrivés.

    Un étonnement pour la Parisienne que je suis : Les Jeux olympiques !

    Dans le contexte de l’embrasement du Proche Orient, le risque est énorme. Comment sécuriser les berges de la Seine, les épreuves situées à Trappes, chaudron islamique, le métro ? On ne peut pas mettre un policier à côté de chaque visiteur.

    Leur coût astronomique me pose des questions au regard de la misère qui gagne du terrain. On réquisitionne les logements sociaux, les résidences universitaires par dizaine de milliers sans solution de remplacement, avec des dédommagements insignifiants. Je n’aime pas ça.

    Pourtant, Thierry Breton, commissaire européen au marché intérieur, l’autre jour, s’indignait à la télévision :

    — Pour une fois qu’on fait passer le dépassement de soi, la fête universelle avant la politique, la religion ou les revendications partisanes, j’estime qu’on a le devoir de soutenir les Jeux olympiques !

    Serait-ce là un esprit de résistance ? Le nombre en ferait la force ? Pourquoi pas ?

    Pour ma part, la résistance ne se situe pas dans ces énormes machines dépersonnalisantes. Il se situe dans des petits gestes, dans des engagements.

    Je le trouve dans un sourire, dans une main tendue.

    Dans les pires situations, c’est justement un geste ou une petite attention qui m’ont toujours permis de ne pas désespérer. Les prisonniers des totalitarismes vous le diront. La résistance, c’est aussi de regarder un rayon de soleil sur un mur, une étoile dans le ciel, la lune au-dessus des toits,… offrir et recevoir une existence dans le regard des autres.


  • Paris-Gex-Paris

    Dans l’autobus.

    Une jeune femme sur la plate forme centrale, un petit garçon dans une poussette. Une petite fille blottie sur la banquette près de la fenêtre, trois ans à peu près.

    Je m’assieds à côté d’elle et je songe à ma journée écoulée. Elle regarde défiler les stations.

    Elle se tourne vers moi, je lui souris.

    Je lui demande en montrant la jeune femme :

    — C’est ta maman ?

    — Non, c’est ma nounou. Ma maman, elle travaille. On rentre chez moi.

    Après quelques mots, je lui demande son nom. Elle hésite et se lance :

    — Toscane.

    Des paysages surgissent, des souvenirs de Catherine et Vérine. J’imagine des circonstances heureuses ayant précédé sa naissance.

    Mais l’enfant ne semble pas beaucoup apprécier son prénom. Elle me donne les noms de ses amies comme de meilleures références. Un silence et elle me dit :

    — Et toi ? Comment tu t’appelles ?

    — Martine.

    Elle se tait. Elle ne connaît personne de ce nom, pourtant très commun à mon époque. Ça a l’air de la rassurer et nous continuons une intéressante discussion sur sa vie en maternelle.

    Tout en parlant, elle approche sa main de la mienne. Encore un silence, puis :

    — Pourquoi ta main elle est vieille ?

    Je lui réponds :

    — Parce que je suis vieille.

    Elle se tait et réfléchit. Au bout de quelques secondes, je lui demande :

    — Et toi, tu seras vieille un jour ?

    Elle réfléchit plus longtemps encore et dans un souffle elle dit :

    — Oui !

    Mais ma station approche :

    — J’arrive chez moi… Au revoir Toscane.

    Elle me salue jusque sur le trottoir à travers la vitre.

    Un homme de type africain m’a suivie. Il me dépasse, puis se retourne vers moi avec un visage à la fois rieur et complice. J’aime Paris.

    Le lendemain, nous sommes partis pour Tougin. Ce fut une semaine agitée.

    Un exposé à Gex, avec poésies anglaises et piano romantique.

    Répétitions et petites mises en scène. L’équipe de la bibliothèque, la stagiaire Lucie (15 ans), le directeur de l’école de musique, les professeurs et trois élèves, Nick, un voisin anglais et bon pianiste, Hilary et Jill, les lectrices anglaises, un public en or. Ce fut une très bonne soirée. Sûr que nous nous en souviendrons !

    De retour dimanche en TGV. À Bellegarde sur le piano de la gare une jeune femme jouait des musiques de film qui résonnaient avec dynamisme sous la coupole de bois et de verre.

    Le train venant d’Evian passait par le bas, sans arrêt à Bourg. Il n’était pas plein et nous avons pu nous installer dans l’espace à quatre sièges. Mais à peine parti, alors que je contemplais le crépuscule sur la retenue du Rhône après Seyssel, un sifflement a retenti, d’abord imperceptible et discontinu puis plus affirmé, enfin un ronflement sonore et permanent.

    Gilles s’est levé et s’est approché du dormeur en hésitant. Il faut dire que le spectacle était impressionnant. Son poids dépassait largement les cent cinquante kilos et remplissait les deux places devant nous. Son ventre croulait sous la tablette sur laquelle était posé un smartphone où défilait une de ces séries qui plaisent tant aux jeunes voyageurs du TGV. L’écran paraissait minuscule, se distinguant par le seul clignotement des images au milieu d’un fatras de vêtements et de bagages à main. Le dormeur d’origine asiatique, la trentaine, semblait impossible à réveiller tant la tête basculée sur l’épaule semblait soudée au corps.

    Gilles recula. Puis l’appela. Sans résultat. Puis il lui toucha l’épaule légèrement, puis plus fort, toujours sans résultat. Enfin, il le secoua en criant :

    — Monsieur, réveillez-vous !

    L’homme hissa avec difficulté des paupières perdues dans la masse, il leva péniblement la tête et le ronflement cessa. Il parut comprendre quand Gilles posa son index sur sa bouche. Comme celui-ci regagnait sa place sous les regards reconnaissants du voisinage, cinq petites minutes passèrent et le concert recommença.

    Familiers du nomadisme dans le TGV, nous avons déménagé à l’étage supérieur du wagon où le contrôleur nous a accueillis avec des blagues. On a vu arriver d’autres voyageurs avec leur bagages et on s’est demandé si le ronfleur allait fini son voyage seul dans le compartiment. Il semblait tellement opulent dans tous les sens du terme que c’est seulement maintenant en écrivant ces lignes que je songe à compatir sur une obésité certainement difficile à vivre.


  • Séjour en Sicile (suite et fin)

    Villa Romana del Casale - Wikipedia

    La villa Romana del Casale ne se trouvait qu’à un kilomètre de l’auberge où nous avions déjeuné. Pourquoi l’hôtel ne nous avait-il pas dit qu’on y aurait trouvé une cafeteria ? Il est probable qu’il avait jugé plus sensé de nous diriger vers un collègue agrotouriste.

    Le parking de très grande taille nous renseigna aussitôt sur la notoriété du site.

    Sur une colline boisée, une rampe empierrée nous conduisit jusqu’au péristyle de l’entrée. La fouille était recouverte d’une immense verrière. Nous avons déambulé sur un réseau de passerelles au-dessus d’une incroyable profusion de mosaïques, la plus importante surface connue, dans une trentaine de salles. 35 000 m2. Elles avaient été protégées par un glissement de terrain et redécouvertes au début du 19e siècle. Une déambulation dans la vie de l’époque, ses activités agricoles ou culturelles, ses légendes, scènes de chasses dont des chasses au lion, à l’éléphant, jeux du cirque, scènes érotiques, dans un état de conservation véritablement prodigieux.

    Le mystère demeure sur le propriétaire et commanditaire de cet immense domaine. Peut-être Lucius Aradius Valérius Proculus, gouverneur de la Sicile et consul, car il avait organisé en 340 à Rome des jeux spectaculaires, ce qui pouvait expliquer les scènes de chasse en Afrique.

    On communiait avec les activités de chacun, leur imaginaire, par delà les millénaires. Quelle étrange expérience ! Beaucoup de questions au-delà des images. Quels points communs avec nous ? Un monde débordant de dynamisme, mais comment ne pas penser aux fauves dans les arènes. Comment associer ces scènes bucoliques aux combats de gladiateurs ? Civilisation et barbarie, l’éternelle balance des humains.

    Il était tard, les boutiques fermaient. Nous avons longé la cafeteria. Nous y sommes entrés avec l’idée d’y acheter de quoi dîner, en pensant à la petite table de fer du balcon de l’hôtel devant la montagne. Les plats proposés typiquement siciliens semblaient délicieux, mais pouvait-on les emporter?

    Ce fut un festival de bonne volonté. On nous trouva des caissettes, des serviettes, des couverts, un grand sac. On chauffa au maximum les gratins d’aubergines et de poivrons au fromage pour la route, on nous conseilla des gâteaux. On y joignit une grande bouteille d’eau, du sel et du poivre, des couverts des serviettes. Les serveurs semblaient amusés par cette demande. À la caisse, un homme d’un certain âge, barbu et bienveillant ajouta même quatre petits gâteaux aux amandes gratuitement. On s’est quittés avec des sourires en se souhaitant une bonne soirée.

    De retour à l’Arménide, le petit parking s’était rempli. Nous sommes montés dans la chambre illuminée par le soleil du soir. Après une douche bienvenue, nous avons mis le couvert sur la petite table ronde et nous avons savouré un dîner sicilien qui n’avait rien à voir avec la cuisine internationale des cafétérias de musée. D’une certaine façon, Lucullus dînait chez Lucullus.

    Ensuite, nous nous sommes allongés sur le lit avec le guide vert et les explications historiques d’internet, pour vérifier que nous n’avions pas eu la berlue et que ces incroyables mosaïques attendaient elles aussi la venue de la nuit à deux kilomètres de là.

    Le sommeil fut un peu long à venir. Le matelas n’était pas de première jeunesse et des éclats de voix au rez-de-chaussée ont opposé le propriétaire et sa femme durant une bonne heure. J’ai pensé avec amusement à la profession de foi hippy portée par le nom de l’hôtel : Amour et harmonie.

    Après un petit déjeuner au milieu de chats errants, la jeune fille au comptoir nous a demandé d’un air inquiet si ça avait été. On l’a rassurée et nous avons repris la route.

    Dorée par le soleil, Caltagirone nous est apparue perchée sur une colline, avec son dôme et ses vieilles maisons étagées. Nous venions surtout pour son musée de la céramique.

    Non, ce n’était pas le Musée de Sèvres. Rien de très spectaculaire, mais le déroulement de 3000 ans de céramique, jusqu’à nos jours, et là aussi, un heureux mélange d’influences. Une maquette de four arabe côtoyait un four hérité des Grecs.

    Une savoureuse imagerie émaillée recouvrait les pots et les carreaux de terre avec une liberté qui m’a réjoui le cœur. J’en suis repartie, bourrée d’idées

    Nous sommes rentrés chez Marina où nous avons sauté dans la piscine. Elle nous avait autorisés à vider le frigidaire et nous avons terminé notre séjour comme des princes, toujours sous un soleil radieux. Le lendemain, nous avons longé la mer au sud de Taormina. Un port abritait des bateaux de pêche et de plaisance, il faisait un peu penser à Saint-Tropez en plus grand, plus sévère, plus lumineux, un peu comme Syracuse.

    Et nous nous sommes envolés vers Paris. Nous avons reconnus par le hublot de l’avion les lieux que nous avions parcourus, comme un adieu.  

    Au retour à Paris, Jean-Marc nous a dit qu’Anna de Noailles avait écrit sur Syracuse. Oui, un superbe poème. En sa compagnie, nous avons de nouveau parcouru dans sa lumière les ruelles, les remparts, sa blancheur bordée du bleu intense de la mer.

    Merci Marina.


  • Séjour en Sicile (suite).

    Circuit en Sicile : Voyages les îles

    L’autoroute qui va à Palerme passe par un plateau désertique bordé de montagnes. Quelques vastes maisons aux fenêtres éventrées, isolées au bord de champs pelés y témoignent d’un temps où les générations cohabitaient et travaillaient dur pour leur survie. Reliefs d’une époque, après que les Siciliens eurent quitté leur foyer pour fuir la misère vers l’étranger, en particulier vers l’Amérique. Une époque peut-être encore d’actualité, car la Sicile nous a paru peu habitée, nous n’avons pas vu beaucoup de constructions récentes. Les touristes partis, la circulation était fluide, les villes et les villages peu fréquentés. Durant ces six jours à l’est de l’île, nous n’avons presque pas croisé d’émigrants, malgré la proximité de Lampedusa.

    Nous avons quitté l’autoroute vers le sud. En montant, le vert de la végétation a succédé à l’ocre de la terre brûlée. Le ruban de la route fraichement goudronnée s’enfonçait en larges courbes dans des forêts d’eucalyptus comme si nous avions changé de pays, de climat.  

    A Piazza Armerina, nous avons pu faire regonfler le pneu de la voiture de location. Le garagiste à côté de chez Marina l’avait déjà vérifié et le clignotant était resté allumé sans l’inquiéter davantage. Et nous sommes repartis à la recherche de l’hôtel que nous avions réservé par Booking.com, non loin de la Villa Romana del Casale. Marina nous avait dit qu’elle y venait avec son grand-père lorsqu’elle était petite. Un tendre et beau souvenir qui n’était pas étranger à sa décision après sa retraite de reprendre l’étude du grec et du latin, grâce à quoi elle avait rencontré Gilles.

    Impossible de se retrouver dans le dédale des routes bouchées pour travaux ! Une voiture voyant notre embarras se proposa de nous conduire à notre hôtel. Nous l’avons suivie et nous nous sommes retrouvés sur le parking d’un hôtel, auprès duquel les palaces suisses font pâle figure. Il y avait erreur !

     Un besoin pressant me fit pousser la porte à tambour. J’ai surgi dans un hall de 500 m2 avec trois billards, des structures de jeux pour enfants, des petits salons aménagés. Il s’ouvrait sur un salon plus vaste encore, un rideau de scène sur le mur du fond. Par une large porte, j’ai aperçu une centaine de retraités qui déjeunaient paisiblement assis sur des chaises de velours rouge à hauts dossier. Autant de tables, si ce n’est plus, restaient vides, finissant de remplir l’immense salle à manger. Après avoir demandé mon chemin à un personnel plutôt rare, j’ai fini par trouver les toilettes, robinets dorés et marbres vieillissants, à l’image du reste.

    Un hôtel marqué par le style des hôtels touristiques des années 1970, un peu comme ceux que nous avions vus en Crête ou en Tunisie, mais « dans son jus », jamais modernisé et marqué par une volonté de luxe beaucoup plus ancien. Mussolini ?

    Retournée à la voiture, Gilles a montré à notre guide l’image de notre hôtel sur l’écran de son smartphone. Ni une, ni deux, il a sorti le sien de sa poche. Une conversation animée, puis il nous expliqua avec de grands gestes qu’on allait venir nous chercher.

    Nous avons vu apparaître sur le parking encombré de cars de tourisme, tel un petit coucou sur un tarmac, un pick up bariolé de scènes paradisiaques . Nous l’avons suivi. A deux ou trois kilomètres de là, sous une pancarte vantant L’Arménide, sa piscine et son agroturisma nous nous sommes enfilés sur un chemin de terre. Une maison à un étage agrippée à la pente, deux ou trois voitures sur le parking. Notre guide bis, manifestement le propriétaire, a repris son travail de maçonnerie après nous avoir montré du doigt l’entrée de l’hôtel.

    Dans un vestibule exigu et encombré, au pied d’un escalier, derrière un comptoir antique, une très jeune fille nous a fort gentiment reçus. Elle s’excusa de ne parler ni le français, ni l’anglais, mais tendant avec un sourire et beaucoup d’assurance son écran de Smartphone, Google traduction fit l’affaire. Elle nous montra la chambre, le petit balcon partagé avec les voisins donnant sur la montagne de l’autre côté de la route. La chambre aménagée de bric et de broc était bardée d’électronique.

    Il faisait chaud et nous avons demandé à voir la piscine. C’était un petit bassin dont l’eau verdâtre n’était pas engageante, y descendre par l’échelle à barreaux de fer, inenvisageable. L’homme surgit et nous montra l’aspirateur. Il s’en fallait d’une heure et tout serait parfait ! Il ne voulut pas voir nos dénégations et commença à l’installer.

    Il était déjà deux heures et nous avions faim. Ils nous ont indiqué un restaurant quelques kilomètres plus loin.

    Nous nous sommes retrouvés sous une treille, assis devant une table de fer un peu rouillée. On nous servit des pâtes. Une tablée voisine un peu bruyante s’est libérée, une vingtaine de personnes leur ont succédé, manifestement membres de sociétés amicales. Heureux ! Ici aussi, la pancarte « agroturista » annonçait la couleur.

    Et nous nous sommes souvenus de l’aventure hippy de nos amis Catherine et Vérine en Toscane. Ils s’étaient lancés dans l’agrotourisme en pionniers.

    J’ai cherché sur Internet la signification d’Arménide ? Une pierre génératrice de bioénergie pérenne dont les caractéristiques principales sont Luminosité, Amour, Pureté…

    Mais c’est une autre histoire !

    (à suivre)


  • Séjour en Sicile (suite)

    Caponata sicilienne - Sicile (1) Syracuse - Les petits plats de Béa

    Il y a maintenant quinze jours que nous sommes revenus de Sicile. La vie parisienne nous reprend avec ses activités diverses, souvent inattendues, la Sicile s’éloigne, mais elle garde la saveur d’un souvenir précieux. Avec l’âge, j’évite de négliger les bons moments vécus, à vivre. Le souvenir de notre deuxième journée à Syracuse frappe à la porte.

    J’aimerais tant voir Syracuse

    L’île de Pâques et Kairouan

    Et les grands oiseaux qui s’amusent

    À glisser l’aile sous le vent.

    Voir les jardins de Babylone

    Et le palais du grand Lama

    Rêver des amants de Vérone

    Au sommet du Fuji-Yama.

    Voir le pays du matin calme

    Aller pêcher au cormoran

    Et m’enivrer de vin de palme

    En écoutant chanter le vent.

    Avant que ma jeunesse s’use

    Et que mes printemps soient partis

    J’aimerais tant voir Syracuse

    Pour m’en souvenir à Paris.

    Chanson écrite par Bernard Dimay que nous avions célébré à Montmartre en mai dernier, mise en musique et chantée par Henri Salvador.

    Syracuse lumineuse et multiple. La mer de toute part éclabousse les murailles blondes de l’île d’Ortiaga. Maisons à balcon serrées les unes contre les autres, rues étroites et tortueuses protégées des tempêtes et des chaleurs extrêmes. Nous avons déjeuné sur une petite terrasse, rafraîchis par le vent de la mer qui dansait au loin entre deux murs ouvragés.

    Nous avons déambulé à la recherche de la place dont nous avait parlé Maurizio. Ce fut une surprise de déboucher sur un vaste espace aux larges dalles claires, entouré de palais et d’églises d’architectures diverses. Un mur à créneaux normand, un palais espagnol, un palais italien, une église baroque-français. Maurizio avait insisté sur les innombrables invasions dont son île avait fait l’objet durant des siècles. Il en montrait une étrange fierté comme si elle avait su tirer le meilleur parti des Grecs, des Normands, des Français, en passant par les Arabes et les Carthaginois qui s’y étaient succédé. Contrairement à l’habitude, les vainqueurs n’avaient pas détruit les bâtiments construits par les vaincus.

    Nous avons dégusté une glace « granito » devant la façade baroque de la cathédrale Sainte Lucie. Elle était fermée et nous n’avons pas pu voir le tableau de Caravage qu’elle conservait dans son sous-sol. Dommage ! Le peintre avait trouvé refuge à Syracuse durant plusieurs années, on peut penser que ce tableau exprimait sa reconnaissance.

    En savourant ma glace à la pistache, spécialité de la Sicile, je fus frappée par la vie qui émanait de cette place aux influences multiples. À notre époque où chaque pays revendique des identités plus ou moins fabriquées de toute pièce et s’entretue pour des histoires de religion et de morceaux de territoire, j’y ai trouvé la possibilité d’une richesse conjointe et tolérante.

    Nous sommes retournés à la voiture par la rue centrale bordée d’échoppes pour touristes. Beaucoup de céramiques, une autre spécialité sicilienne. Nous avons vu un poisson frétillant, aux écailles luisantes comme s’il sortait de l’eau. Je m’y connais un peu en céramique et je me suis demandé par quel miracle, il avait pu sortir aussi vivant  du four. La jeune vendeuse a surpris mon regard étonné, mais elle ne parlait pas français.

    Après des plongeons dans la piscine, nous avons encore passé une bonne soirée avec Marina. Son beau-frère nous avait cuisiné des cannelloni à la façon sicilienne ! Un délice aux herbes du jardin. Encore une bonne soirée de conversations passionnantes. Marina est fan d’opéra, au point d’avoir appelé sa fille Pamina en hommage à La Flûte enchantée. La Scala, Bayreuth n’ont pas de secrets pour elle. Elle est, naturellement, une inconditionnelle de Bellini, natif de Sicile.

    Intarissable, elle nous a fait partager son enthousiasme.

    Le lendemain, nous avons conduit Marina à l’aéroport pour son retour à Paris avant de continuer vers le centre de l’île. Elle nous avait laissé les clefs de sa maison et nous avions l’intention de retourner dormir chez elle les vendredi et samedi soir avant de repartir pour Paris.

    (à suivre)


  • Messine

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    Le lendemain matin, nous avons laissé Marina à ses préparatifs de départ et nous sommes partis pour Messine avec l’intention de voir le musée national et ses deux Caravage.

    Maurizio nous avait dit avec humour :

    — L’autoroute passe sur quarante ponts et sous quarante tunnels. J’ai eu le temps de les compter durant mes quarante années d’enseignement à la faculté de Messine.

    En effet ! En tenant compte des joints de dilatation tous les dix mètres sur les ponts, le périple ne devait pas être de tout repos. J’en profite pour dire que nous avons été surpris par la conduite des Siciliens. Contrairement à leur réputation, ils conjuguaient astuce et prudence sans s’énerver. Il est vrai qu’en ce mois de septembre, les routes n’étaient pas surchargées.

    En revanche, les signalisations laissaient partout à désirer. Que d’erreurs et d’errances, surtout ce jour-là ! Pourtant tout avait bien commencé. Nous étions parvenus sans encombre au pied du musée. Nous avions garé la voiture dans un de ces parkings écologiquement réservés aux voitures électriques.

    Nous avons fini par trouver l’entrée et nous étions restés assis durant de longues minutes devant les deux tableaux de Caravage, sujets religieux de grande taille. Plus que leur réalisme, c’est leur éclairage, ce contraste violent d’ombre et de lumière dessiné par une source non identifiable qui m’a frappé. Durant sa vie agitée, le peintre avait plusieurs fois été sauvé de la misère par des commandes de mécènes indulgents à ses frasques. Voyant une des toiles à peine recouverte de personnages émergeant d’un fond ténébreux, j’ai pensé un instant à une astuce pour livrer le tableau le plus vite possible. Mais bientôt un sentiment de respiration m’a jetée dans les bras de ce sacripant de Caravage. Il me changeait des tableaux précédents plus ou moins dorés et bourrés de personnages édifiants

    Il était près de 14 h et nous n’avions rien dans le ventre. Pas de cafétéria, rien aux alentours, nous avons continué vers le nord le long de la mer. Rien, toujours rien. Nous avons garé la voiture et j’ai descendu les ruelles désertes du village vers la plage en espérant trouver une paillote. Ce fut un choc.

    Le détroit de Messine s’offrait à mes yeux. Charrybde et Sylla, la Sicile et la Calabre. Des rochers affleuraient au loin. Les vagues blanches d’écume venaient s’y jeter dans un voluptueux labour. Le vent fouettant la couleur, l’indigo de la mer répondait au cobalt du ciel. Paysage immémorial. Tel un personnage d’Homère ou d’Antonioni, une baigneuse marchait dans le soleil d’un pas tranquille et souple sur la grenaille des cailloux. Sur l’ondulation de la berge, au milieu des bois morts, des filets échoués, elle avançait solitaire, indifférente à ma survenue intempestive.

    Nous avons fini par trouver une trattoria. Gilles a pu déguster une tranche grillée d’espadon et nous avons acheté pour Marina de ces délicieux petits gâteaux aux amandes, témoins de la présence arabe en Sicile durant des siècles.

    Nous voulions atteindre le détroit de Messine. Par je ne sais quel mystère, guidés par le GPS, nous avons quitté la route côtière et nous sommes montés sur la colline dominant la mer. Il nous annonçait des numéros de route et des dénominations dont nous ne voyions aucune trace. La route rétrécissait de plus en plus et nous nous sommes retrouvés sur un chemin à peine goudronné, entourés d’arbres brûlés Nous avons dû contourner l’un d’eux, tombé sur la chaussée.

    Autour de nous la forêt calcinée étendait ses branches sinistres. Les collines désertes dominaient désormais à perte de vue la mer de tous côtés : la mer Tyrrhénienne, la mer Ionienne. Et nous avons continué de monter au milieu d’un désastre de plus en plus désolant.

    — Tu ne crois pas qu’on pourrait redescendre ? ai-je dit à Gilles, tout en sachant la manœuvre des plus délicates à la vue des précipices qui nous entouraient.

    — Mais non, cette route va bien finir par nous amener quelque part.

    En effet nous sommes arrivés à une sorte de camp militaire dont les toitures s’étaient effondrées. Nous avons roulé sur une butte, puis dans un fossé. Nous nous sommes arrêtés sur une plate-forme envahie par des arbustes noirâtres. La route s’arrêtait là et le GPS après un temps de recherche a déclaré :

    — Itinéraire inconnu.

    Et sur l’écran une icône montrait un demi-tour.

    Dans des relents de vieux brûlé, nous avons pu l’effectuer en toute sécurité. Vaille que vaille, nous avons franchi à nouveau les obstacles dans le sens de la descente. Le GPS nous a encore un peu trompés, ce qui nous a valu quelques vertigineuses marches arrière. Et je n’ai pas été fâchée de retrouver le niveau de la mer, même s’il nous fallut plus d’une heure d’errance dans les faubourgs de Messine avant de nous enfiler sur l’autoroute de Taormina.

    Au retour, Marina nous a dit :

    — Il m’est arrivé la même aventure dans ces parages. Nous allions à un mariage et quand nous avons fini par l’atteindre, l’église était vide. Tout le monde était parti.

    (à suivre)


  • Une semaine en Sicile

    10 choses à faire à Taormine - À la découverte des joyaux de Taormine :  Guides Go

    Une semaine en Sicile.

    De retour hier soir, encore abasourdie par l’attente dans l’aéroport de Catania et la foule qui s’y pressait, je vais essayer de résumer un séjour aussi varié que savoureux.

    Nous étions invités par Marina, une amie du café homérique de Gilles. Sicilienne ayant épousé un français, elle vit à Paris. Sa famille possédait un domaine sur la commune de Taormina, à l’est de la Sicile, au nord de Catania, sur les pentes de l’Etna. Ce domaine fut partagé à la mort de ses parents et en partie vendu. Elle garda une bergerie qu’elle aménagea avec toute l’astuce et tout le confort moderne. Elle fit creuser une piscine, mais conserva les mangeoires des chèvres, en souvenir de son enfance. Jeune retraitée de l’UNESCO, elle y passe tous ses étés retrouvant sa famille et ses amis siciliens. Un lieu de rêve.

    Notre première impression fut assez désolante. Depuis l’aéroport, on voyait défiler des arbres calcinés, des collines dévastées et même quelques maisons brûlées. La région avait été la proie des flammes fin juillet, l’autoroute avait été coupée, on en avait parlé dans les médias internationaux. En sortant du village où Marina était venue nous chercher, le spectacle ne valait guère mieux. Le cœur en écharpe, je me demandais ce que je faisais là lorsque sa voiture s’est arrêtée devant un grand portail. Au milieu d’un champ noirci par le feu, sous un immense eucalyptus intact il s’ouvrit sur des bougainvilliers en fleur, des oliviers couverts de fruits, un jardin avec piscine agrémenté de fleurs débordant des grands pots d’argile rose.

    Marina nous raconta :

    — Mes filles et moi étions ici, avec plusieurs enfants. Les flammes dépassaient des murs dans un bruit d’enfer. C’était effrayant ! On nous avait dit de ne pas chercher à partir. Au moment où nous allions désespérer, les carabinieri sont venus nous évacuer. Imaginez les enfants.

    — Ils ont du faire des cauchemars, ai-je dit.

    Elle s’étonna de ma réflexion, heureuse qu’ils soient encore en vie. Peut-être un réflexe sicilien, dur à la difficulté, pudique et peu expansif. Elle-même veuve d’un mari qu’elle adorait a affronté seule l’adolescence de ses deux filles sans se plaindre, avec une rare fermeté. Caractère en accord avec une terre de laquelle il fallait arracher sa subsistance, soumis aux caprices de l’Etna. Elle me montra les cendres noires qui liaient entre elles les larges tuiles romaines de la bergerie.

    — Ça arrive de temps en temps !

    Mon cousin Philippe nous avait assuré que Taormina est un des plus beaux sites du monde. Dans Le Radeau de la Gorgone, conseillé par Marina, l’académicien français Dominique Fernandez partage cette opinion. C’est donc dès le lendemain, après une soirée à discuter à la fraîche, nous avons laissé notre hôtesse à ses préparatifs de départ, (elle s’apprêtait à retourner à Paris) pour aller visiter ce lieu mythique.

    À flanc de coteau et sur le sommet de deux collines telles d’immenses murailles se dessinant sur le ciel bleu, la ville domine la mer. Nous y sommes montés en téléphérique et nous nous sommes dirigés sans attendre vers le fameux théâtre gréco-latin.

    Comment était-ce possible ? Comment avait-on pu ancrer, excaver un tel ouvrage en pleine pente ? D’énormes rochers en encadraient l’entrée. Les Grecs avaient profité d’un amphithéâtre naturel, les Romains l’avaient agrandi pour les jeux du cirque. Il pouvait contenir 5400 personnes. Imaginez la taille ! La mer et l’Etna au loin, nous avons grimpé en haut des gradins et nous sommes restés immobiles et silencieux pendant plus d’un quart d’heure à nous imprégner de cette association entre la nature et des siècles de civilisations. La menace du feu de la terre et l’orgueil des hommes. Les touristes peu nombreux en septembre n’étaient que des fourmis sur l’empilement des pierres.

    Nous avons déjeuné dans la vieille ville aux rues tortueuses bordées de palais et de maisons à balcons ornementés, sur une minuscule terrasse tenue par deux vieilles demoiselles qui nous ont bichonnés comme si nous étions de la famille.

    Il faisait tout de même chaud et nous ne sommes pas de fanatiques touristes, après avoir flâné dans la rue principale et acheté des céramiques pour nos enfants nous avons rejoint le funiculaire. En bas les rochers aux contours déchiquetés battus par les vagues faisaient irrésistiblement penser à l’Odyssée d’Homère qui avait été récitée dans son intégralité au printemps dernier par la compagnie Démodocos. Nous étions sur le trajet d’Ulysse, à deux pas de Charybde et de Sylla.

    De retour, nous avons sauté dans la piscine et le soir nous étions reçus chez Maurizio et Rosanna. Ah, la bonté de ce couple, l’un géant, à la mesure de son métier de géologue, s’exprimant dans un français lent et rocailleux, l’autre douce et ronde, ancienne institutrice vive et attentive à saisir quelques mots d’une langue qu’elle ne pratiquait pas.

    Nous eûmes la chance d’entendre maintes légendes siciliennes, entourés des céramiques dont ils étaient amoureux et qui les illustraient à ravir.

    (à suivre)


  • Départ de Tougin

    Bellegarde-sur-Valserine (Valserhône) - CCPB01

    De retour hier soir. Pas facile d’écrire dans la canicule de Paris, les murs ont chauffé durant notre absence. Nous avons quitté une température agréable, des bains du matin dans un lac à 22 degrés, la plage à peu près déserte, un village très calme dont beaucoup d’habitants étaient partis pour profiter du mois de septembre sans touristes, les crêtes sans un nuage.

    Nous avons débarqué vers 23 h 30 gare de Lyon, puis dans le jardin des Halles, comme sur une autre planète. Les jeunes noirs des quartiers de banlieue dans des bruit de musique parlaient fort en groupes profitant de la température plus clémente de la nuit. Les supporters Néozélandais venus des antipodes pour la Coupe du monde de rugby trainaient de hautes silhouettes un peu déconfites. Les Français avaient gagné le premier match au Stade de France, pas beaucoup de cris de victoires, le rugby ne suscite pas dans notre pays le même enthousiasme que le foot.

    A la suite du retard du car et d’un accident sur la route, nous avons raté le TGV. Nous avons dû attendre le suivant à Bellegarde. Les deux heures passèrent vite. Nous avons sorti notre casse-croute et dîné assis à une grand table de bois à la fraîche en regardant les montagnes s’estomper dans la nuit. Une quantité de jeunes attendait le départ des cars vers la montagne assis sur l’herbe, gros sacs à dos et bâtons de marche. Un couple d’amoureux qui partait faire le tour du Mont Blanc a posé son pique nique au bout de notre table. Venus de Saint-Malo, ils bivouaquaient, montant leur tente dès qu’ils trouvaient un petit coin d’herbe. Après leur départ, plus stressé et plus âgé, un autre couple a demandé à partager notre table, je crois qu’ils se disputaient à propos des corvées de la randonnée. Comme l’heure de notre train approchait, j’ai dit en partant, montrant leurs sacs à dos :

    — Au revoir. Vous en revenez ou vous y allez ?

    Un peu grognons, ils ont répondu :

    — Les deux.

    — ?

    — Oui, on vient de Corse et on va à Chamonix.

    — Vous allez faire le tour du Mont Blanc ?

    La course de l’ultra trail vient de se terminer, mais elle pouvait leur avoir donné des envies. Ils étaient au-dessus de ça !

    — Non, on va faire plusieurs sommets, de l’escalade.

    Et beh ! Des supersportifs ! Leur matériel désignait un usage intensif.

    — Vous devez avoir des super mollets !

    Ils ont approuvé de la tête avec un vague sourire.

    Le voyage fut sans histoire, sauf qu’à Bourg, le contrôleur eut toutes les peines du monde à faire descendre une passagère clandestine.

    Oui, nous sommes en escale pour la Sicile. Nous partons demain depuis Roissy. Nous sommes invités par Marina, une amie de Gilles du Café Homérique. Elle nous a dit que la température y était agréable, moins de 30°, rien à voir avec les 36° actuels de Paris.

    Je veux tout de même revenir un instant sur notre visite à Alain dans sa maison de retraite à Genève, EMS (établissement médico-social). Nous avions été pris dans les fantaisies de la signalisation helvétique en désaccord avec le GPS et une fois de plus la traversée de la ville s’était muée en parcours du combattant. Nous sommes arrivés en retard et Alain, fatigué n’était plus très présent. Nous avons été sidérés une fois de plus par la qualité de vie des Suisses. Une fin de vie dans un parc aux arbres centenaires, le conjoint s’il est valide peut être logé dans un immeuble adjacent. Nous avons déjeuné dans un restaurant ouvert à tous, avec terrasses d’été, jardin d’hiver, jardin de demi-saison à l’abri du vent, personnel en tenue de steward et d’hôtesse de l’air, le cuisinier toque sur la tête. Architecture des années soixante-dix. Laurette nous a fait visiter son appartement de 110 mètres carrés avec vue sur le parc et la montagne. Un complexe social destiné à tous.

    On se pincerait presque pour se rappeler la misère du monde, les difficultés de la minorité de plus en plus nombreuse qui rame pour survivre dans nos pays occidentaux !