• Comédie musicale à Nogent sur Marne.

    Tom est âgé de dix ans, ses parents travaillent tous les deux, il va donc au centre de loisirs à Nogent-sur-Marne. Non seulement il ne s’en plaint pas, mais après quelques jours de vacances, il manifeste régulièrement le désir d’y retourner.

    Il nous parlait depuis longtemps de la comédie musicale préparée pour la fin de l’année. Il mimait des animaux, dansait sur des rythmes étranges et chantait des mélopées bizarres. Seuls les parents et les grands-parents étaient conviés à la représentation, nous avions de longue date réservé le dernier vendredi de l’année scolaire,

    Ce fut une réussite ! Dans une vaste salle polyvalente datant des années 30, pourvue d’une grande scène surélevée, nous avons assisté à la plus jolie des comédies musicales jouées par des enfants. Les masques étaient superbes, les costumes dignes des grands spectacles, la musique imaginative, les chœurs chantaient juste et les danseuses en rythme s’en donnaient à cœur joie. En fond de scène, des gazelles courraient dans la savane sur laquelle brillaient le soleil, la lune et les étoiles. Une quarantaine d’enfants participait à l’aventure. Spectacle foisonnant sans temps mort.

    En fait, le metteur en scène était un professionnel qui gagnait sa vie comme animateur (sur la photo, derrière Tom). Tout avait été fabriqué avec les moyens du bord : les masques en carton, des chapeaux surmontés de grandes têtes d’animaux, lions, girafes, singes, phacochères, éléphants, les costumes à partir de vêtements bariolés trouvés dans les renfiles. Les paroles préenregistrées par les enfants permettaient un montage astucieux et une rare aisance gestuelle. Le play-back était parfaitement synchronisé. On se doutait pourtant que le centre de loisirs n’avait pas pu s’offrir de micros portables. Deux spots fixes et colorés sous lesquels les acteurs passaient aux moments adéquats éclairaient l’action avec astuce.

    Et les enfants… ? Heureux ! À la fin, le metteur en scène les présenta un par un au public avec modestie et simplicité. Ils avaient passé huit mois à préparer ce spectacle. Chacun avait choisi son rôle. Vous dire le plaisir ressenti par tous, y compris les maîtresses d’école qui avaient collaboré tient de la gageure. Il s’y mêlait bonheur et fierté. Qu’on ne vienne pas nous dire que tout était mieux autrefois et que les enfants d’aujourd’hui laissés à eux-mêmes sont devenus stupides. En tout cas pas au centre de loisirs du Val de beauté !


  • Le restaurant de la Tour Eiffel (suite)

    Après avoir eu tout le loisir d’observer l’impressionnante ossature du pilier nord-ouest, nous avons fini par entrer dans la cabine de l’antique ascenseur.

    Au premier étage, nous avons aussitôt été dirigés vers notre table. Surprise ! C’était la meilleure place, devant les vitres, côté Seine, dans l’alignement du pont d’Iéna. Un serveur s’est présenté. « Je m’appelle Nicolas, et je suis là pour vous rendre cette soirée la plus agréable possible ». Il nous fit l’historique des lieux qui allaient fermer en septembre et évoqua le Jules Verne, le restaurant étoilé du troisième étage qui allait rouvrir bientôt. Ses yeux brillaient de fierté.

    La salle était climatisée. Après une coupe de champagne, nous avons pu savourer un menu concocté par un grand chef, tout en observant Paris. La chaleur avait un peu clairsemé la foule habituelle, et la Seine coulait indifférente aux bateaux-mouches et aux petites vedettes qui la parcouraient dans des gerbes d’écume. Au dessert, le soleil qui descendait sur le mont Valérien nous atteignit et nous sommes sortis sur la plate-forme. Un souffle d’air nous permit d’admirer sans transpirer la vue sur 360°. Nous étions tranquillement assis dans un fauteuil lorsqu’un groupe de quatre africains (ou afro américains) est arrivé. Taille moyenne : 2 m pour les hommes, 1,80 m pour les femmes, poids moyen : 150 kg pour les hommes, 100 kg pour les femmes. On ne peut pas vraiment dire qu’ils étaient gros, ils étaient énormes. Sur leur trente-et-un, vêtus de blanc, d’un blanc étincelant sur leur peau sombre. Des panamas blancs, des chaussures blanches, de l’or en bracelets, en colliers, en bagues. Ils se photographiaient les uns les autres avec des démonstrations enthousiastes. Ils se regroupèrent pour un selfie. Mais de toute évidence, ils débordaient du cadre. Je me suis levée pour leur proposer une aide qu’ils acceptèrent avec un étonnement qui m’étonna. Plutôt que le « cheese » habituel qui fait grimacer, je les fis rire et m’écriais « one, two, three… ». La photo fut plus que réussie. Ils furent ravis. Le sujet ne manquait pas d’intérêt !

    Nous sommes redescendus en espérant prendre le 72, mais une fois traversé le pont d’Iéna au milieu d’une foule bigarrée dont un couvent de religieuses indiennes en costume de Mère Thérésa, l’autobus annonçait un retard de près d’une heure. Nous nous sommes dirigés le long du quai vers le métro de l’Alma, impatients de rentrer nous reposer et de nous rafraîchir à l’écart de la foule.

    Ces temps-ci, Paris est envahi par une nuée de touristes, pas toujours des plus discrets. Nous avions été contraints par les dates, mais malgré cela et contre toute attente, nous avions pu profiter agréablement de cette soirée anniversaire sur la Tour Eiffel.


  • Au restaurant de la Tour Eiffel. Le 29 juin

    Canicule. Nous avions rendez-vous au pied de la Tour Eiffel pour fêter au restaurant, avec un an de retard, nos cinquante ans de mariage. Cinquante  ans, comment est-ce possible ? Je ne pensais pas vivre jusque là, et encore moins résister à cette terrible institution !

    Réservation six mois à l’avance. Quoique fréquente à cette époque nous ne pouvions pas prévoir cette chaleur exceptionnelle ; nous n’avions pas eu le choix, le restaurant va fermer pour rénovation fin août et nous devions partir début juillet.

    Gilles, autobus bloqué par la Gay Pride est venu en vélib, et je me suis contentée de traverser le Champ de Mars à pied. Contentée ? Par 36° à l’ombre, l’expédition tenait de l’exploit. J’ai louvoyé sous les ombrages, levé des nuages de poussière, contourné des groupes de touristes avachis sur les pelouses desséchées. À l’approche, des nuées d’Africains, grappes de tours Eiffel dans chaque main, se précipitaient et faisaient le siège de tout ce qui bougeait encore. Une pauvre femme se débattait au milieu d’une dizaine de grands gars qui hurlaient à qui mieux mieux. J’ai failli aller la libérer, puis j’ai pensé que cela ne me regardait pas. Surtout, j’ai vu en Égypte les passagères de notre bateau prendre trop de plaisir à ce genre de situation. J’ai fini par apercevoir Gilles au pied du pilier sud-est, comme convenu. En fait nous devions suivre la file commune à tous les visiteurs ; ce fut long dans la chaleur un peu atténuée par des brumisateurs.

    Le passage des premiers sas de sécurité ne fut pas de tout repos. Les employés retenaient une amie en boubou, faisant mine de ne pas la reconnaître, pour ensuite l’embrasser avec moult exclamations une fois passé le contrôle. Pas d’exception !

    (à suivre)


  • Coupe du monde féminine de foot.

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    Étrange de les voir galoper sur la pelouse dans des stades bondés ! Il faut s’y faire. Par tradition, la vision de la femme est statique, alanguie sur un divan, ou assise au chevet des malades. Aujourd’hui de plus en plus active à tous les niveaux, elle occupe des postes importants, de moins en moins soumise aux dictats masculins. Mais on n’avait  pas vu venir les footballeuses !

    Il y a bien des années, quand Michael, le fils de nos amis Sally et Roger de San Francisco, a épousé une pratiquante de soccer, on nous a fait comprendre qu’il s’agissait de l’élite. Je la devinais mince et forte, musclée et dynamique. Elles arrivent aujourd’hui sur les écrans de nos salons toutes aussi belles et décidées les unes que les autres. Elles nous réjouissent l’âme avec un je-ne-sais-quoi de féminité épanouie.

    Le match d’hier France-Brésil fut un peu laborieux, mais on a gagné ! Je ne pouvais m’empêcher d’encourager les Bleues avec des mots dans le genre : « Va-z-y ma cocotte ! » ou «  Bravo, les minettes ! », tout en me reprochant ce vocabulaire débile. Aurais-je lancé aux footballeurs : « Va-z-y mon coco ! «  ou « Bravo, mon minet ! » ? En fait, peut-être que oui !

    Gilles me dit qu’elles sont encore à l’abri des puissances de l’argent, qu’il faut attendre pour voir comment elles résisteront…


  • Dans le métro, le 15 juin 2019.

     

    Paris, un samedi ordinaire. Le matin, deux étranges conférences sur les correspondances de Madeleine Follain, la fille du peintre nabi Maurice Denis, d’une part avec son mari, le poète Jean Follain, d’autre part avec le poète rescapé du génocide arménien, Armen Lubin. Par volonté féministe, elle ne vivait pas avec son mari, et n’a guère rencontré cet ami contraint de supporter une existence horrible dans un sanatorium horrible, crucifié par une tuberculose osseuse de la colonne vertébrale. Elle entretenait avec eux des lettres pleines de vie, d’anecdotes savoureuses dont il ne reste que celles qui lui étaient adressées. Ange gardien dirait l’un, bonne poire dirait l’autre, elle tirait son plaisir de cette très riche correspondance.

    Après un déjeuner rapide, mais passionnant avec des participants à la conférence, je me suis rendue à l’atelier par le tram du boulevard extérieur. Il a le mérite de rouler à l’air libre sur une pelouse entre les arbres.

    Le soir, je suis rentrée par le métro en pestant contre la foule qui s’y pressait. Comme si la RATP ne pouvait pas faire l’effort de mieux accueillir la masse de banlieusards et de touristes du samedi ! À la station Richelieu-Drouot, il se fit un remue ménage et la rame ne redémarra pas. J’entendis des voix « Pickpockets ! Regardez dans vos sacs, dans vos poches ! » Au début les étrangers ne comprenaient pas, mais entendant répéter le mot et voyant les gestes autour d’eux, ils ouvrirent fébrilement leurs sacs à dos, opération malaisée dans cet espace bondé. Les coudes s’entrechoquaient, la situation s’éternisait. Je décidai de m’éclipser et je me glissai comme je pouvais vers la porte avec l’étrange impression de fuir comme une voleuse.

    Les issues du quai étaient bloquées et des policières en civil fouillaient deux jeunes filles. Ces pickpockets sont facilement repérables, longs cheveux bruns, faux air bourgeois, on les voit en groupe écumer le métro à longueur de journée. Assez arrogantes lorsqu’elles ne « travaillent » pas, elles crient fort, s’étalent sur les sièges comme si elles étaient seules au monde. Mais ce jour-là, j’ai eu la surprise de leur voir un tout autre visage. Une policière disait gentiment, mais fermement  à l’une d’elles :

    — Tu as essayé ? N’est-ce pas que tu as essayé ?

    On pourrait donner dix-huit ans à ces filles délurées, mais devant la jeune policière, queue de cheval blonde, jean élégant, la voleuse se métamorphosa en une petite fille d’une douzaine d’années, au visage candide et embêté, un peu comme une pensionnaire coincée loin de chez elle en mauvaise posture. Elle ne semblait pas avoir peur, probablement consciente de ne rien risquer. Mais curieusement, je ne pus m’empêcher de penser qu’elle sollicitait la protection, et surtout l’amitié, de la belle policière. Elle répondit par un hochement de tête, un « oui », décidé et grave qui me laissa perplexe, comme si elle voulait impérativement lui faire savoir qu’il ne dépendait pas d’elle de se trouver du côté des voleurs.

    Descendus sur le quai, des Chinois regardaient la scène avec stupéfaction. Le métro n’était pas encore reparti lorsque j’ai pu monter les escaliers vers la sortie.


  • Côte d’Or en famille. Suite et fin

     

    En fait, aujourd’hui, de retour à Tougin, puis à Paris, j’éprouve quelques difficultés à me souvenir dans le détail de ces quelques jours à Magny-Lambert. Mais je peux vous assurer que mes craintes se sont avérées injustifiées.

    La maison était véritablement magnifique. Un très grand salon, chaleureux, avec cheminée et flambée de bois, une très grande cuisine moderne où Julien nous mitonna avec les enfants de succulents repas, crêpes fourrées, gratin, quatre quarts aux poires, gâteau au chocolat, etc., de quoi prendre quelques kilos. Nous avons savouré nos petits déjeuners à l’intérieur sur la grande table de bois verni et les dîners sur la terrasse devant une colline ensoleillée et paisible. Un ou deux tracteurs, une ou deux voitures par jour. Le ballet tranquille des vaches qui trottinaient d’elles même vers la trayeuse. J’ai tout juste aperçu un fermier qui se rendait à la minuscule mairie submergée par les trente-six panneaux d’affichage de la campagne des Européennes. Les enfants ont sauté indéfiniment sur la trampoline tout en discutant. Que pouvaient-ils donc se raconter,.. leurs histoires d’école ?

     

     

    Nous avons roulé vers le site d’Alésia (30 km tout de même !), réaménagé depuis notre dernier passage. Nous avons laissé les enfants et petits-enfants visiter le musée et la reconstitution du camp gaulois. Passionnant, nous ont-ils dit.

     

     

     

    Nous sommes allés le lendemain visiter l’abbaye de Fontenay, lieu cistercien, remis en état et superbement entretenu par des cousins des Montgolfier, amis de nos enfants, ce qui les a laissés muets. On a vu l’église, la beauté dépouillée de ses piliers et de ses voûtes, le dortoir où, au Moyen-Age, les moines dormaient au sol tout habillés sur une paillasse et dont le manque d’hygiène était une ascèse… Dans la vaste forge, ils ont pu observer un énorme marteau actionné par une grande roue de bois entraînée par un mince filet d’eau. Le gravier du cloître et des jardins étincelaient de blancheur dans le soleil. Les buis étaient impeccablement taillés, il s’en dégageait une sorte de perfection, peut-être un peu anachronique. En tous cas, à passer devant la maison d’habitation des propriétaires, on devinait que la restauration de cette abbaye leur était une heureuse vocation.

     

    Il serait trop long de détailler la visite à Montbard du musée Buffon. Nous avons eu la surprise de découvrir que les familles Buffon et Daubenton étaient amies et que le premier avait attiré le second à Paris. « Lumières » s’il en était, naturalistes, coauteurs de L’Histoire naturelle des animaux et créateurs du Jardin des Plantes à Paris.

     

     

     

     

     

    Sur la route du retour, pas facile de trouver les Sources de la Seine… Le lieu appartient à la Ville de Paris, sorte d’autopromotion de Napoléon III par Haussmann, ce qui expliquait leur présence dans nos manuels scolaires. La grotte artificielle et les statues qui symbolisaient une féminité généreuse et aquatique bien typée de la fin du dix-neuvième siècle n’en étaient pas moins charmantes.

     

    Oui, ce furent quatre jours heureux, savoureux  dans une campagne superbe, mais étrangement déserte. Après avoir traversé le Jura et pris le TGV quelques jours plus tard, nous avons débarqué gare de Lyon sur les rives de cette même Seine, un tantinet abasourdis par le bruit et la foule dont nous avions perdu l’habitude.

    Fin.


  • Côte d’Or en famille.

    Il y a plus d’un an, nous avions décidé de réunir nos trois générations pendant le grand week-end de l’Ascension. Nous voulions une maison suffisamment vaste pour que chaque famille s’y sente à l’aise. La Bourgogne faisait l’unanimité, à mi-distance de Grenoble et de Paris. Mais, à force de procrastination (mot à la mode…), tous les gites adéquats se trouvèrent loués. On a surfé vers l’est, quitté les domaines viticoles du Mâconnais, on a frôlé le Jura, on a poussé du côté de Châtillon sur Seine, terra incognita. On a fini par cliquer sur une « maison de maître » à vingt-cinq kilomètres de toute ville commerçante, qui semblait nous garantir la tranquillité recherchée. D’expérience, le calme de la campagne est souvent relatif, perturbé par des concasseuses à maïs, des trayeuses, le cancanement ravageur des oies et des canards, le cri des coqs à horaires décalés, les aboiements de chiens flairant un renard, le tout dominé par le hurlement du TGV à cadences rapprochées.

    La maison était belle, de quoi faire confiance ! Et puis, on apporterait des jeux de société en cas de pluie. Après tout, la France n’est pas un désert, il devait bien y avoir des sites intéressants à proximité. Les sources de la Seine par exemple, à quelques dizaines de kilomètres de là, j’avais toujours rêvé d’y aller.

    Tout de même, lorsque venant de Tougin nous avons traversé le Jura et que la température s’apparentait plus à un début d’avril qu’à un mois de mai finissant, nous étions un peu inquiets. Il resterait toujours le plaisir d’une agréable rencontre dans un lieu à découvrir…

    (à suivre)

     

     


  • Les Suppliantes (suite).

    Mardi dernier, rebelote : la Sorbonne pour Les Suppliantes d’Eschyle.

    À la suite du blocage du mois de mars par les contestataires « antiracistes » du Blackface, la Sorbonne a décidé au nom de la liberté d’expression et de la sauvegarde du patrimoine culturel, de présenter à nouveau la pièce devant un parterre de ministres, de députés, de représentants d’organisations culturelles. L’affaire ayant fait grand bruit dans les médias, neuf cents personnes ont rempli à craquer le Grand Amphithéâtre.

    J’étais dans mes petits souliers, car Gilles jouait le rôle principal celui du roi d’Argos, celui qui doit décider au nom du peuple, de l’accueil des réfugiées nubiennes (d’où la couleur contestée de la peau, cuivrée ainsi que les masques pour l’occasion). Le texte nécessite une mémoire dont il fait rarement preuve dans la vie courante.

    Au début, le chœur des Nubiennes présente le pourquoi du comment, les origines et l’historique de leur demande. Exercice difficile. La synchronisation des voix, les danses de quatre d’entre elles, le rendent à peu près impossible, on entendait très mal. Un rien de somnolence commençait à envahir les lieux, les regards flottaient perplexes sur la fresque de Puvis de Chavannes : Le bois sacré de la connaissance, lorsque le roi d’Argos et son interprète sont arrivés. La présence et l’autorité du souverain, la complicité démocratique du duo s’imposèrent. Ce fut un plaisir de reconnaître nos problèmes contemporains dans un texte qui datait de plus de deux mille ans.

    À chaque fois que le chœur intervenait, c’était plus difficile. L’acoustique du grand amphi est déplorable. Je saisissais quelques mots et en reconstituais laborieusement les manques jusqu’au moment où un frémissement chatouilla mes oreilles comme du vent dans les oliviers, comme la légèreté d’une cascade dans un vallon sauvage. C’était le bruit des feuilles du texte intégral que le public tournait d’un seul geste. Je cherchai au fond de mon sac le fascicule remis à l’entrée de l’amphi et ce fut un plaisir que je n’avais jamais connu jusque là : suivre le texte au rythme du chœur, des danseuses, des héros, sorte de spectacle total, participatif, sans perdre la beauté du mot écrit, le rythme poétique de sa scansion graphique. Une belle expérience ! À la fin, les applaudissements furent nombreux, comme une sorte de prolongement du ruissellement du texte.

    Gilles appela sur mon mobile, et je me glissai entre les huiles pour gagner la salle où devait avoir lieu le cocktail. Je fus vigoureusement arrêtée par les vigiles et policiers. Revêtu de sa toge, il les persuada royalement et néanmoins démocratiquement de me laisser passer.

    Je retrouvais la troupe dans cette atmosphère si particulière des après spectacle. Le ministre de la Culture serrait les mains du chœur, jeunes étudiants de Besançon, un peu intimidés par la circonstance.

    Lorsqu’il s’est tourné vers moi, je me suis présentée :

    — Je suis la femme du roi d’Argos.

    Il s’inclina et répondit en souriant :

    — Bonjour Majesté !

    J’ai continué :

    — … Et je suis de Nernier.

    Il me regarda, incrédule. Il faut dire que le village est minuscule.

    — Nernier,  où j’ai vécu les meilleurs moments de ma vie ! s’exclama-t-il.

    J’y avais très bien connu sa famille. On a failli s’embrasser devant le président de l’université stupéfait.

    Le lendemain, les journaux de droite ou du centre évoquèrent la soirée. À gauche, du fait de la présence des membres du gouvernement le silence fut assourdissant. Eschyle n’était pas tout à fait parvenu à se faire entendre.

     

     

     


  • Les Ombres. Musée Chirac.

     

    Nos enfants nous ont invités pour les quatre-vingts ans (eh oui !) de Gilles à dîner dans le restaurant du musée Chirac, quai Branly.

    Nous espérions visiter l’exposition « Océanie » avant de nous mettre à table. Mais ce jour-là, j’étais un peu flagada et surtout des trombes d’eau s’annonçaient sur Paris. Nous avons décidé de nous retrouver aux Ombres, le restaurant sur les toits du musée.

    Comme chaque samedi, nous avons dû ruser avec les stations de métro. Un peu plus d’un millier de manifestants continue après vingt-six semaines de semer la pagaille à Paris, contraignant la préfecture de police à boucler le quartier des Champs-Elysées, et depuis son incendie celui de Notre-Dame. Spectacle surréaliste que la marée de touristes déambulant dans une atmosphère programmée festive par Internet, à deux pas de ces  manifestants-casseurs programmés par le même canal,  tous s’agitant comme si de rien n’était !

    Nous avons traversé à pied le pont de l’Alma au milieu d’une foule de badauds. Nous sommes passés devant la cathédrale russe, récemment construite par Poutine, et ses bulbes argentés. Nous avons louvoyé entre les barrières de chantiers qui encombrent ces temps-ci les rues de Paris. Et nous nous sommes introduits dans une allée végétale qui nous a conduits aux ascenseurs.

    J. et L. nous attendaient à l’entrée du restaurant. Tom (10 ans) nous a sauté au cou et nous avons été conduits à la meilleure table de ce restaurant panoramique que L. avait judicieusement réservée très tôt. Nous avons commencé par aller sur la terrasse pour mieux admirer la tour Eiffel et le Palais de Chaillot qui s’éclairaient dans la nuit tombante. Quelques gouttes nous en ont chassés, et nous sommes rentrés à l’abri. Ce fut un repas affectueux et délicieux dans une atmosphère feutrée, bichonnés par des serveurs attendris par nos trois générations. Comment ont-ils pu deviner que la petite bougie sur le gâteau du dessert était destinée à Gilles ?

    Au milieu du repas, un orage a répandu nuages noirs, trombes d’eau et éclairs sur la ville d’où surgissait la tour Eiffel, dorée et scintillante un peu comme dans un rêve ! Nous avons profité d’une accalmie pour retraverser le pont de l’Alma. (Tom a filmé cette petite vidéo, qui tangue un peu….). Embrassades sur la Seine et c’est dans le 72 que nous avons pu continuer d’apprécier les Invalides, la Concorde,  le Louvre et le Musée d’Orsay. Nous sommes descendus à la passerelle des Arts. Une belle soirée !


  • Mont clos.

    Il pleuvait des cordes, samedi dernier. J’ai pensé un moment que l’anniversaire d’Annick allait être annulé. Pouvait–elle recevoir une trentaine de convives à l’intérieur de sa petite maison près de Mortagne ? Finalement, nous nous sommes lancés de confiance. Arrivés dans le Perche, les nuages se sont  écartés et le soleil a éclairé les vallons, les prairies, les jolies maisons isolées de cette région que nous avions bien connue dans notre jeunesse pour y avoir acquis et emménagé vaille que vaille une petite ferme en ruine sur le bord d’une route vicinale.

    A cette époque, nous habitions Paris et nous avions soif de nature. Ève avait dix-huit mois. Nous risquions notre vie tous les weekends sur une route à trois voies pour retrouver le silence de la campagne, le soleil sur le perron, les déjeuners dehors. La cheminée fumait, les murs suintaient d’humidité, mais nous aimions notre petite maison de Mont Clos. Par la suite, nous y avons passé quelques vacances plus longues. Mon frère Patrice avait acheté à un kilomètre de là le Chêne Vert, une jolie maison isolée, plus confortable et plus grande que la nôtre. Ce furent de bons moments, occupés à bricoler, à recevoir des amis, à nous promener dans cette magnifique région de Bellême et de sa forêt alentour.

    Nous avons donc décidé d’y passer en pèlerinage. Après quelques difficultés pour retrouver le chemin, alors que je m’attendais au pire, je vis derrière une haie un toit qui ressemblait au nôtre, entièrement refait, recouvert de belles tuiles anciennes. Derrière le portail, c’était bien notre ancienne maison, pimpante, ses petits bâtiments adjacents en parfait état, ses granges aveugles de notre temps, aujourd’hui percées de fenêtres. Des enfants jouaient dans le jardin, une dame téléphonait devant le perron. Comme dans un rêve.

    La femme m’a laissée entrer pendant que Gilles garait la voiture. L’intérieur était superbe : un grand salon, une grande cuisine où se tenir à vingt avec des éléments modernes, des chambres au rez-de-chaussée, un bel escalier de bois qui montait aux combles aménagés. Un palais par rapport à notre chaumière, où je reconnaissais cependant les portes que nous avions ouvertes, la salle à vivre qui nous servait aussi de chambre presque inchangée. La maison avait été restaurée dans la suite naturelle de nos travaux, que c’en était touchant.

    On était en retard, nous sommes vite remontés dans la voiture et c’est le cœur content que nous avons laissé Mont clos à sa nouvelle vie, remplie d’enfants rieurs et d’adultes affairés.

    Le soleil a encore brillé chez Annick, le temps des embrassades. Sa petite maison percheronne était plus vaste qu’il n’y paraissait et c’est au chaud que nous avons pu déjeuner avec le plaisir de se retrouver et de lui chanter au dessert un joyeux anniversaire, accompagné par le banjo de Lou