
Il y a déjà pas mal de temps, Marie m’avait dit participer à un groupe de théâtre dans notre quartier. À l’occasion, elle avait cité le centre Cerise.
En allant faire nos courses rue Montorgueil, nous passons chaque jour devant le centre Cerise. À notre arrivée à Paris, nous ne prêtions qu’une attention distraite à sa vitrine, et même jusqu’en 2006, année de la dernière visite officielle de la reine d’Angleterre.
Rue Montorgueil, Stohrer reçoit depuis près de trois cent ans les souverains britanniques à chacun de leur passage à Paris. Cette célèbre pâtisserie a été créée en 1730 par Nicolas Stohrer leur ancêtre, au service de Stanislas Leszczynski, ex-roi de Pologne, duc de Lorraine et père de Marie Leszczynska, future épouse de Louis XV. Nicolas Stohrer a inventé le baba au rhum, le puits d’amour et les bouchées à la reine, entre autres. Ses descendants ont toujours tenu à être fidèles à sa renommée.
Tout le monde le sait, la reine Élisabeth II d’Angleterre était gourmande. En aucun cas, elle n’aurait dérogé à cette coutume.
Le quartier avait été prévenu. Je n’ai pu résister au plaisir d’aller me joindre aux badauds.
Le quartier était bouclé, la circulation interrompue, des barrières de sécurité installées. Il était convenu que sa fameuse grosse voiture blindée allait déposer la reine à l’entrée de la rue Montorgueil et que la souveraine la remonterait à pied.
Nous avons attendu dans une foule amusée, aussi friande d’images royales que de blagues républicaines. Une petite fille a demandé :
— Maman, la reine, elle aura sa couronne sur la tête ?
Nous avons attendu longtemps. Les nouvelles se propageaient le long du trottoir. « La reine est sortie de sa voiture ». Mais toujours pas de reine chez Stohrer ! Le bruit a couru qu’elle était entrée dans le centre Cerise.
C’est ainsi que j’ai appris qu’il s’agissait d’un centre culturel et que la reine y faisait son travail habituel de soutien aux œuvres de bienfaisance.
On a encore attendu, mais nous n’avons pas vu la reine. On a fini par apprendre que Sa Majesté s’étant sentie fatiguée, Stohrer avait descendu la rue jusqu’à sa voiture et lui avait offert un plateau de ses fameux gâteaux.
Lorsque Marie m’a parlé du centre Cerise, je lui ai raconté mon aventure. Elle m’a dit aussitôt :
— J’y étais. J’étais dans le centre Cerise avec ma fille qui devait avoir dans les cinq ans. Elle faisait partie des enfants qui ont offert des présents à la reine. On les avait habillés avec de jolis costumes, on avait mis des fleurs dans les cheveux des petites filles. C’était la fête !
Elle a continué :
— Peu après, quand je suis rentrée du travail, elle m’a sauté dessus, toute excitée. Elle avait croisé le convoi de la reine et elle m’a dit : « Tu sais, maman, elle m’a reconnue ! Elle m’a saluée. »
Voilà comment j’ai connu le centre Cerise.
Par la suite, je me suis renseignée :
Initiée par la paroisse Saint-Eustache, l’Association apolitique et aconfessionnelle Cerise (Carrefour Échanges Rencontre Insertion Saint-Eustache) est une association à but non lucratif qui allie, dans un même lieu, un centre socioculturel ouvert à tous et un hébergement de transition pour de jeunes adultes qui achèvent leur parcours d’insertion.
Marie m’a invitée à venir voir un spectacle monté par un groupe de femmes sur une écriture en commun. Une bonne occasion d’aller y faire un tour.
C’est ainsi que jeudi dernier, j’ai assisté aux interventions successives de femmes témoignant de leurs expériences de femmes et d’émigrées.
Spectacle passionnant livrant des luttes vers la liberté, mis en scène avec un talent exceptionnel par une comédienne d’origine brésilienne, le récit de générations successives. Elles étaient aussi belles les unes que les autres, chacune à sa façon. Une irlandaise, une tunisienne, une espagnole, huit en tout, racontant sans pathos à la fois l’exil et l’insertion de leurs familles. Toutes avaient réussi dans leur carrière, elles rendaient hommage à leurs mères. Le thème général portait sur la condition des femmes à travers des histoires savoureuses et souvent difficilement vécues. J’y reviendrai peut-être…