
Nous avons été invités par ma nièce Virginie et son époux Gilbert à passer quelques jours du grand week-end de l’Ascension dans le Trégor avec mon frère Hervé et son épouse Véronique. Nous avons roulé en TGV jusqu’à Rennes, d’où Virginie et Gilbert nous ont conduits en voiture jusqu’à leur maison de Plougrescant. Hervé et Véro venaient de la région parisienne.
À Rennes, Gilbert nous a montré les maisons et bâtiments qu’il avait construits ou rénovés en tant qu’architecte. Impressionnant ! Maisons, immeubles, écoles, et même une prison.
Je connais mal la Bretagne, plus orientée depuis toujours vers le sud-est. Du côté de Saint-Brieuc, puis à Tréguier, j’ai compris que la mer s’infiltrait dans des vallées dont les eaux montaient et descendaient au gré des heures, laissant apparaître des berges ou des marais étranges. Un aperçu de ce qui nous attendait à Plougrescant.
Nos neveux qui habitent à Rennes ont acheté cette maison il y a quelques années, un rêve de longue date. Gilbert, originaire de Perros-Guirec, breton bretonnant, connait la presqu’île comme sa poche. Il y a passé son enfance et son adolescence, il a crapahuté dans la campagne, sur les grèves et les rochers de granit, il est rentré dans beaucoup de maisons à croire que les Bretons sont tous cousins. Ils se sont connus sur des bateaux. Jeune ménage, ils ont acheté un voilier sur lequel ils ont passé leurs week-ends, tournant autour des sept îles, se frayant des chemins dans les baies, dormant aux mouillages, poussant parfois jusqu’à Jersey ou Guernesey.
Lorsqu’il y a trois ans, Virginie vit l’annonce de la vente de sa maison dans Internet, elle envoya aussitôt, sans la visiter et sans même consulter Gilbert, une proposition de prix qui fut acceptée.
— Dans la région, les ventes sont rares et se font de bouche à oreille. Il ne fallait pas hésiter !
Ils ne l’ont pas regretté. La maison typiquement bretonne, sur la colline mais blottie dans un creux, est dans un état parfait. Depuis les fenêtres de l’étage ou depuis le haut du jardin fleuri, on voit la mer, ses rochers aux formes fantastiques, ses grèves plus ou moins recouvertes d’eau ou de cailloux, ses roses ou rouges sombres, ses bleus ou ses orangés. Le ciel s’assombrit et se dégage dans la même journée, passant d’une image de naufrageurs, à de paisibles et riants bleutés.
Nous avons passé trois jours à tourner de baie en baie, de montée en descente sur la mer, à nous arrêter pour des promenades sur les sentiers ou pour des méditations devant les innombrables îles désertes ou habitées qui caractérisent cette côte. Des amas de rochers semblaient défier les tempêtes dans des équilibres fragiles, certaines îles dentées et crénelées émergeaient comme des crêtes d’animaux préhistoriques tantôt du sable, tantôt de la mer. Un monde de légendes.
Des légendes qui avaient bercé l’enfance de Gilbert, intarissable sur les personnalités qu’il avait croisées, sur les célébrités qui avaient adopté son pays, comme Maurice Denis ou Calder, sur mademoiselle Fifi, une chanteuse d’opéra de la Belle Époque.
Nous avons bu l’apéritif du soir à l’heure « exquise » sur une terrasse de restaurant devant la plage de Trestignel. Le lendemain, un autre apéro nous a réunis avec impédimenta sur celle de Port Blanc où des petites familles finissaient l’après-midi au soleil, les pieds dans la mer, pour certains courageux, dans l’eau.
Un matin, Gilbert est allé pêcher des ormeaux qu’il a ensuite vidés, battus, que Virginie a passé à la poêle, accompagnés de pommes de terre de la région. Un régal agrémenté de conversations sur des sujets parfois difficiles, mais toujours avec civilité.
Nous avons visité Tréguier, sa cathédrale. Nous avons vu le crâne de Saint Yves (petit et rond) et nous sommes entrés dans le jardin d’Ernest Renan en discutant avec la guide.
— On se trompe. Renan n’a jamais été athée.
Nous avons eu l’impression de nous trouver dans une sorte de paradis dont les habitants étaient sportifs, jamais obèses, pêcheurs de coquillages et de bars, cultivés et discrets, navigateurs et propriétaires de belles maisons blanches avec vue sur la mer.
Et ce fut donc le dernier jour une surprise, lorsque Hervé, nous ayant raccompagnés en voiture vers Paris, nous laissa à la gare de Saint-Quentin-en-Yveline et que nous nous sommes retrouvés dans le métro de la ligne 1 pendant le match de foot du Paris-Saint Germain contre l’Inter de Milan !
( à suivre )