Le temps passe à une vitesse vertigineuse. Comment est-ce possible ? Ensemble, cueillons le jour.
La maison s’est vidée et la pluie est enfin arrivée. Chute des températures, déluges pendant plusieurs jours. Il en faudra cependant davantage pour réparer les dégâts d’une sécheresse historique. La nature a légèrement reverdi. Les mauvaises herbes sont les premières à repousser, surtout dans les allées du jardin. En les arrachant, nous avons constaté que le sol était mouillé sur une dizaine de centimètres. C’est bien peu, alors que ce matin le soleil brille de nouveau, un soleil moins brûlant, il est vrai.
J’avais accepté de faire une conférence sur Lamartine au château de Montceau, pour le 20 juillet, mais la canicule 38° nous a amenés à la repousser d’un mois. Mardi dernier, il faisait 30°, une température acceptable après ce que nous avions subi. Monsieur Gallois, spécialiste de Lamartine et initiateur de ce cycle de conférences, m’a téléphoné qu’il s’était réveillé la veille, le dos bloqué par un lumbago. Il s’excusait de ne pouvoir venir. Nous allions être reçus par un responsable de l’association Ozanam, propriétaire du château.
Après la quatre-voies qui mène à Cluny, la montée de la petite route dans la lumière des collines couvertes de vignes tient du miracle. Quand, garés sur la plate-forme gravillonnée entourée de murs aux tons dorés, nous sommes descendus de la voiture, un peu groggy par le trajet, nous avons été saisis par l’odeur de pierre chauffée, une sorte de silence habité et cette sérénité si caractéristique du Mâconnais.
Nous nous sommes glissés sous une voûte et nous avons débouché dans la cour d’honneur du château de Monceau, acheté par le grand-père d’Alphonse de Lamartine, propriété ensuite de son oncle François, chef et tyran domestique de la famille, enfin propriété du poète qui en avait fait son lieu de rassemblement politique, à quelques kilomètres de sa résidence de Saint-Point.
Nous avons été accueillis par le responsable et son épouse qui nous ont aussitôt proposé des rafraîchissements et conduits sous les frondaisons d’une allée de châtaigners plusieurs fois centenaires, classée monument historique. Au soleil, rafraîchis par un vent léger soufflant sur les collines, il faisait délicieusement bon. Nous avons flâné sur la terre ocre de la terrasse, le regard attiré par le lointain, vers les hauteurs du Beaujolais, vers la Roche de Solutré (chère à Mitterrand). Je pensais à ces innombrables fois où depuis le TGV, j’ai admiré la façade classique du château dominant les vignes en pensant au poète et à l’harmonie de ses vers. J’y trouvais un air de Toscane, j’y voyais et j’y vois toujours un paysage étrangement familier.
Monsieur Boucherat nous a expliqué que l’association Ozanam dépendante de la société Saint Vincent de Paul y reçoit durant les beaux jours des personnes âgées sans ressources. C’est un lieu de repos tenu par quelques salariés, et surtout par des bénévoles se succédant grâce à une méthode bien rodée.
Il nous a introduits dans le vaste bâtiment. En haut de l’escalier à double révolution, une longue galerie distribuait les pièces de réception, le grand salon, les petits salons, la vaste salle à manger. Alphonse de Lamartine y tenait table ouverte. Les ailes en U abritaient les nombreuses chambres dans lesquelles logèrent quantité d’hommes politiques et de célébrités de l’époque. Georges Sand, Honoré de Balzac, Alexandre Dumas, Eugène Sue et beaucoup d’autres. Pas étonnant qu’il s’y soit ruiné ! Les revenus des vignes pour conséquents qu’ils étaient quand la récolte était bonne ne suffisaient certainement pas pour mener un tel train de vie
Il lui fallait écrire pour subvenir à ses dépenses. Pour s’isoler du va-et-vient incessant du château, il se fit construire en bas de la vigne une petite cabane en bois de forme hexagonale, toit pointu et vitrages, qu’il nomma « La Solitude » Il y écrivit entre autres, l’Histoire des Girondins qui eut un énorme succès. Ce petit bâtiment brûla il y a une dizaine d’années par l’imprudence, dit-on, d’un vagabond qui s’y serait réfugié. Reconstruit pieusement à l’identique, il semble aujourd’hui méditer sur le passage des années et le prix des travaux nécessaires à la restauration du château.
Monsieur Boucherat était venu pour quelques jours expertiser le domaine et ses communs en vue d’un éventuel démarrage de chantier. Lui-même avait fait une carrière comme ingénieur dans les bâtiments publics.
Levant les yeux sur les vastes surfaces d’ardoises pentues et leurs décrochements variés, ma question fusa :
— La toiture est-elle en bon état ?
Il répondit prudent :
— Il semble. Je n’ai pas vu de fuites dans les greniers et surtout, aucune bassine ou récipient suspects.
— Du moment que les bâtiments sont étanches, le reste peut attendre !
En disant cela, je pensais aux façades dont le crépi se décollait. Elles s’étaient beaucoup dégradées depuis ma visite, il y a quinze ans, alors que guidée par Bernard Perroud je parcourais les lieux lamartiniens pour écrire mon livre.
À l’époque, nous avions visité la chambre de madame de Lamartine, attendris devant ses soieries et ses rideaux fanés, intacte, comme si elle attendait le retour de la charmante Marianne.
(à suivre)
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