Au petit matin, changement à Karlmarxstaad dans une gare évoquant l’après-guerre de mon enfance : entrepôts délabrés, bâtiments en ciment noirci, peinture écaillée. Cette usure semblait hors du temps, comme stabilisée par un fonctionnement à la fois pragmatique et efficace. Je suis montée accompagnée d’une nuée de travailleurs dans un tortillard en direction de Dresde. Personne dans la voiture ne remarquait ma présence. J’étais pourtant vêtue à la manière occidentale de l’époque, vareuse à gros boutons et pantalon pattes d’éléphant. Fatigue matinale ou volonté de ne rien voir ? Une zone industrielle a défilé devant ma fenêtre, antédiluvienne, la fumée sortait de hautes cheminées noires de suie, les usines en briques désagrégées et ferrailles rouillées fonctionnaient comme par une routine déconnectée du temps.
Quatre ou cinq enfants sont montés un peu plus tard. Une dizaine d’années. Heureux de se retrouver, ils partaient pour l’école dans un pépiement d’oiseaux. C’est alors que je remarquai la décontraction des travailleurs installés sur leurs banquettes datant de Mathusalem. Plaisanteries, salutations tranquilles, bien différentes de la morosité de nos trains de banlieue. Les enfants gazouillaient dans des rires. Il me fallut quelques secondes pour réaliser qu’ils chantaient en français :
À la claire fontaine, m’en allant promener, j’ai trouvé l’eau si belle que je m’y suis baigné…
Comment était-ce possible ?
Il y a longtemps que je t’aime, jamais je ne t’oublierai…
(à suivre)
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