Dans l’autobus, le doute refit surface. D’habitude, j’essaie mes vêtements plutôt deux fois qu’une, exigeante pour un pli ou une tombée disgracieuse, comment avais-je pu penser une seconde que ce manteau pourrait m’aller ? J’entendais, comme s’il était là, Gilles répéter qu’on ne doit jamais rien acheter à un inconnu dans la rue. Mais j’écartais ces pensées déplaisantes. Le cuir était souple et la doublure glissait agréablement sous les doigts. L’Italien connaissait son métier. Je me voyais déjà déambulant avec cette élégance sublime et confortable qui signe la qualité d’un vêtement. Dans un moment d’infortune, le sort m’avait choisie entre toutes. À juste titre, cela va sans dire.
À peine la porte poussée, je m’empressai de sortir le manteau de sa housse et de l’essayer devant le miroir de l’entrée. Ouf ! Il était à ma taille ! Avec juste ce qu’il fallait d’aisance pour les mouvements. Voilà qui était bon signe !
À y regarder de plus près, si la coupe était simple, les épaules suffisamment amples pour recouvrir une veste, la longueur adéquate, je devais cependant admettre que le manteau manquait d’allure. Peut-être qu’entrouvert, agrémenté d’une écharpe de cachemire et les mains dans les poches, il trouverait cette classe tant espérée. J’en doutais confusément et décidais de chercher la marque sur le web.
Elle y était présente, marque de luxe exclusivement vendue dans les magasins agréés. Des robes, des vestes, peu de manteaux, ce qu’avait expliqué le bel Italien. Élégance, qualité insoupçonnable. J’étais peut-être trop difficile et je retournais devant le miroir. J’examinais la texture du cuir, peut-être un peu trop fine, éventuellement un peu trop régulière. Avec un rien d’inquiétude, j’ouvris une couture et en explorai l’envers.
Le tissage qui apparut ne laissait pas de place au doute. C’était du faux !
De retour sur le site, je tombai sur un « forum » qui acheva de détruire mes illusions. De témoignage en témoignage revenait la même histoire. Un Italien, pas toujours le même, mais toujours séduisant. À chaque fois, le même étonnement : « Je ne me laisse jamais arnaquer, c’est la première fois ! », « moi qui suis tellement méfiante ! ». L’une d’elles continuait : « Je suis allée au commissariat, où l’on m’a répondu que c’était tant pis pour moi. »
En effet, c’était tant pis pour moi ! Devant le miroir, l’illusion s’était évanouie, elle avait laissé la place à un vêtement moche, mal taillé et qui, plus est, sentait le produit à base de pétrole. J’examinais le sac avec un reste d’espoir. Vulgaire croûte de cuir, fond de carton, chaîne et œilletons clinquants. Importable !
Pourquoi n’ai-je pas, ce jour-là, ressenti l’ulcération qui me tourmente d’habitude lorsque je suis arnaquée ? J’avais eu à faire à un prestidigitateur ! Quand je déroulais le film de l’aventure, je ne voyais qu’invention, adaptation à la situation, un sens aigu de la psychologie féminine et surtout une séduction jubilatoire. Du grand art ! Et une belle leçon !
En entrant dans l’appartement, Gilles s’est écrié :
— Qu’est-ce qui sent si mauvais ?
C’était mon beau manteau. Mais là, j’exagère un peu…
Il ne fut pas facile de s’en débarrasser. Emmaüs refusa tout net. « Il est neuf ! » ai-je protesté, « On ne prend plus de vêtements, trop difficile à trier » me répondit la dame au guichet. « Si je vous dis que c’est une grande marque. » ai-je tenté pour voir. « Pareil, mais vous pouvez le laisser sur le trottoir, quelqu’un le ramassera. ». Son regard s’était légèrement allumé.
La Ville de Paris annonçait des boites à vêtements. Comme je tournais autour de celle de mon quartier, un homme me demanda sans ménagement de m’écarter afin de photographier les couches d’affiches colorées qui l’enveloppaient et en obstruaient l’accès. J’ai ensuite traîné mon sac sans plus de succès du côté de l’atelier. De guerre lasse, il a terminé dans le local à poubelle de notre immeuble.
La fin d’un rêve ?…