Il arrive à Paris, et c’est rare, qu’une semaine s’écoule sans événement particulier. Soir après soir nous nous retrouvons devant la télévision sans avoir rencontré grand monde et la routine peut devenir pesante. Cependant, sitôt sortis sur le palier, sur le trottoir, dans l’autobus ou dans le métro une vie nous est offerte qui ne fait jamais défaut.
Ici, la nature nous ouvre les bras, surtout ces derniers temps où le soleil brille tous les jours, de temps en temps éclipsé par des orages furtifs à peine accompagnés de quelques gouttes d’eau.
Le village cette semaine était désert, pas âme qui vive, nul mouvement. Un chat noir au soleil dans le jardin, un autre, roux, en cavale, des moineaux piailleurs, des promenades le long de l’ancienne voie ferrée, au bout d’un certain temps cela devient un peu monotone. Les noisettes mettent du temps à murir. Le soleil tape un peu fort sur la tête.
Je me disais que nos voisins étaient peut-être partis ou malades, mais hier je vois le garage de Marcel ouvert. Je vais y jeter un coup d’œil et j’entends du fond de la maison :
— Ah, Martine ! On te croyait malade !
Jacqueline surgit de son escalier :
— On était inquiet. On ne te voyait plus !
Je réponds :
— Nous aussi on se demandait si vous n’aviez pas des problèmes.
Olivier et son ami rappliquent, un piège grillagé au bout du bras
— On a trouvé un des bébés !
Je mets un certain temps avant de comprendre qu’il s’agit d’un des chatons nouveaux-nés. Homosexuels, des armoires à glace, en maillots sans manches, biceps tatoués, des anneaux dorés dans les oreilles, ce sont des tendres.
Et nous voilà à discuter d’un peu tout, du temps, des orages à venir, de la fête du hameau qui pourrait avoir lieu début septembre avant notre départ.
Ils se sont éloignés pour continuer la recherche de l’autre chaton qu’ils ne veulent pas laisser dans la nature.
— On doit aussi retrouver la chatte pour la faire stériliser.
Jacqueline me dit alors :
— On t’entendait jouer du piano. On se disait que tu décompressais.
Une allusion à notre vie parisienne.
— J’espère que je ne vous casse pas les oreilles.
— Non, pas du tout ! Tu peux même jouer plus fort, on aime bien t’entendre et même tu peux jouer le soir et la nuit, si tu veux !
Nous sommes partis visiter leur jardin à la recherche d’une marmite à pendre à la potence de notre façade pour y planter des fleurs. Les tomates sont rebondies, mais les haricots, les pommes de terre, les framboises inexistantes, pas assez de pluie. La sécheresse sévit comme partout. Même les plantations de la commune pourtant abondamment arrosées se flétrissent. De plus en plus inquiétant !
Je suis rentrée toute ragaillardie à la maison. Non, le village n’est pas un lieu vide et sans âme. Il s’y passe des événements lesquels pour n’être pas extraordinaires n’en sont pas moins réconfortants.
Le soir même, en écoutant Le Masque et la plume à la radio évoquer le festival d’Avignon, je me suis dit que notre village leur paraîtrait bien terne. Les critiques ont minutieusement décrit un spectacle qu’ils avaient jugé intéressant : l’actrice-auteur était endormie sur la scène et une caméra projetait en direct sur un écran l’intérieur de son vagin. Le lendemain, j’ai lu dans Le Monde qu’une franco-africaine « queer » y faisait une performance. Nue pendant trois heures dans des positions suggestives, elle évoquait les horreurs de la colonisation, du racisme noir, de l’antiféministe. Des photos exhibaient ses cent kilos et plus, dénudés, entourés d’autres Africaines revendiquant leur présence d’ostracisées. Pas dans la dentelle ! Les deux spectacles recueillaient les suffrages des journalistes, lesquels louaient leur courage et leur lucidité.
Je dois dire que rétrospectivement je fus heureuse d’avoir vu quelques jours auparavant le film de Nani Moretti, Vers un avenir radieux. Loufoque, libre, moqueur de lui-même et des autres. Une respiration !
Comme je téléphonais à Claudine :
— Nous sommes tous les deux, tous seuls, comme des vieux couillons.
Elle m’a répondu avec sagesse :
— Ça fait du bien de temps en temps. Ça fait réfléchir !
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