A Versoix.

Ouf ! Nous voilà à Tougin. Une nuée de touristes, la raréfaction des rames de métro et la vie à Paris devenait de plus en plus difficile. Le dernier retour de l’atelier fut particulièrement pénible. La ligne 8 traverse les sites les plus fréquentés de la capitale, l’Opéra, la Concorde, les Invalides, la Tour Eiffel.

Les amis partis, les activités suspendues, tout s’était arrêté pour deux mois. Mais le rendez-vous de routine chez mon médecin ayant été repoussé sans explication, nous avons dû retarder notre départ. Après une heure et demie dans la salle d’attente bondée, je lui ai demandé ce qui lui était arrivé.

— Le Covid ! J’ai attrapé le Covid et maintenant je suis débordée, je ne parviens plus à gérer mes patients !

Nous sommes partis le lendemain. Par chance, la grève de la veille n’avait pas été reconduite… Le voyage m’a paru plus long que d’habitude, tellement j’avais hâte d’arriver. Pourtant le TGV avait repris le trajet de Nantua, plus court, obstrué durant six mois par un éboulement de terrain.

J’ai mis tout de même plusieurs jours avant de réaliser que nos nuits étaient plus reposantes, plus fraîches, que les oiseaux chantaient, qu’on respirait mieux, qu’on avait tout le temps devant soi. Dès le lendemain matin, nous sommes allés au Léman, mais une grosse bise soufflait, charriant des vagues et des moutons. Un grand bol d’air, superbe mais pas baignable ! C’est ce vent, devenu mistral ou tramontane dans le midi qui attise les feux dévastant ces temps-ci forêts, garrigues et maquis par milliers d’hectares en raison de la sécheresse exceptionnelle qui sévit depuis le printemps.

Le jardin ne se portait pas trop mal. Nous avons sorti la table de bois, les chaises et le parasol, extirpé les pissenlits, arraché les mauvaises herbes, arrosé ce qui restait de fleurs. Et nous prenons tous nos repas dehors à commencer par le petit déjeuner. Rien que de très banal, mais tellement différent de notre vie parisienne ! Nous avons reçu le nouvel amplificateur que Gilles met au point pour écouter de la musique, un des agréments de Tougin. Je me suis remise au piano avec la même maladresse et le même plaisir. Voilà tout ! Je peux ajouter que nous allons nous baigner chaque matin dès huit heures pour éviter le remue ménage de l’école de voile. Nos muscles commencent à se dérouiller. Une vie tranquille en attendant l’arrivée des enfants.

Nous sommes tout de même allés dimanche retrouver Hervé et Véro à Bioléaz au-dessus du lac du Bourget dans le Valromey, une région que nous ne connaissions pas. Un désert. Sans le GPS, nous ne serions jamais parvenus à destination. Une centaine de kilomètres, pour les deux tiers sur des routes tournantes et étroites, mais magnifiques. Nous avons traversé le Rhône sur le barrage de Génissiat. Cela m’a rappelé le carnet de navigation de mon père : il l’avait descendu dans les années 1930 depuis le Pays de Gex jusqu’à Donzère-Mondragon, via Lyon et Valence avec son neveu Albert Mounier. Ils avaient porté à bout de bras le canoé pour passer Génissiat. Imaginez son poids, acajou et rivets de cuivre ! J’avais cru ce carnet perdu, il avait ressurgi au dessert dans les mains de Marc lors de notre dernier déjeuner familial de Livilliers.

Hervé gardait la maison de son beau-frère Éric pendant que le couple faisait une croisière vers le Spitzberg. Une vaste maison dans un village traditionnel accroché à la pente. Une vue qui portait loin vers le massif des Bauges, si paisible que nous n’avons pas jugé bon de bouger. Après le repas et le café, nous avons savouré une sieste bienfaisante. Nous avons gigoté dans la piscine. Nous avons ensuite discuté sur la terrasse de tout et de rien, mais surtout de politique. Mon frère est très impliqué dans la vie publique d’Élancourt et de Saint-Quentin-en-Yvelines. Nous avons évoqué son fils, gravement atteint du Covid en 2021 et resté pourtant farouchement antivax et complotiste. Nous avons constaté que la logique n’a pas cours dans ce domaine. J’ai pensé aux nombreux contes fantastiques qui ont de tout temps surgi durant les épidémies.

Un couple ami devait accompagner Éric et son épouse au Spitzberg. Testés par obligation la veille de leur départ, ils s’étaient découverts positifs. Leur voyage avait été annulé et non remboursé. Encore un alea des années Covid !