J’écris devant le jardin. Les holtas ont fleuri un peu tardivement, mais la pluie leur a réussi. Le soleil brille et illumine leur blancheur. Contrairement à l’année dernière, l’été bascule sur un mois de septembre de bises. Le vent du nord-est remue le lac. Les moutons se poursuivent en troupeaux continus. Ils blanchissent, creusent la surface et refroidissent l’eau. Impossible de se baigner. Nous n’avons jamais vu d’été aussi frais, alors qu’à quelques centaines de kilomètres à vol d’oiseau une canicule exceptionnelle a réduit en cendres des hectares de forêts, en Grèce, en Italie. Oui, le climat se détraque !
J’ai réinstallé l’atelier dans la grange, plastiques de protection, tendu le carton préparé à Paris, sorti tubes, médiums, pinceaux, ce qui n’est pas une mince affaire ! Et maintenant, je peins et retrouve les doutes qui accompagnent une démarche qui contourne peut-être à tort les oukases de l’art contemporain.
Il y a longtemps que nous voulions remercier nos cousins, Anne-Marie et Arnaud, pour nous avoir accueillis si gentiment à Munet, près de Saumur. J’ai évoqué cette visite dans une chronique précédente. Cependant, Anne-Marie qui sortait d’une grave intervention cardiaque ne pouvait pas s’éloigner de la maison familiale de Saint-Jorioz où ils passaient la deuxième quinzaine d’août.
Nous nous sommes retrouvés aux Terrasses du lac, au-dessus d’Annecy, sur la route du Semnoz. Il faisait exceptionnellement bon. Arnaud a vécu à Annecy-Le-Vieux dans sa jeunesse, il connaissait l’endroit. Pass sanitaires contrôlés, nous nous sommes assis devant un paysage de rêve. Quelques nuages légers caressaient les montagnes. La vue plongeait sur la nappe couleur saphir du lac, sur les voiliers et les bateaux à moteur de la taille d’une fourmi. Il nous montra Veyrier et Talloires sur l’autre rive. Au-dessus, des parapentes dansaient comme des virgules le long de la paroi rocheuse des Dents de Lanfon. Anne-Marie déclara incidemment :
— Notre petit-fils Antonin fait des compétitions en parapente. Juste avant mon infarctus, il voulait m’emmener en double.
Bigre ! Nous avons le même âge. À quinze ans et plus, j’allais chez elle à Paris, nous déambulions de musée en musée, en particulier dans celui d’Art Moderne. À Nernier, nous naviguions sur le lac, nous dansions dans la salle du rez-de-chaussée de notre maison. Et toujours, à Paris comme à Nernier avant de nous endormir nous papotions indéfiniment. Elle s’est mariée jeune avec Arnaud, ils ont eu cinq enfants. Aujourd’hui, plus de vingt petits-enfants, et même un arrière-petit-fils. C’est vous dire ! Elle a ajouté :
— Ce n’est que partie remise, j’attends d’être rétablie…
Menu savoureux, nous avons tellement apprécié ces retrouvailles que nous étions les derniers sur la terrasse. Arnaud a évoqué avec la jeune patronne une école qu’ils connaissaient tous les deux.
— De mon temps, ce n’était pas mixte, lui dit-il.
— En plus de mes études, je faisais de la compétition de snow board, précisa-t-elle, pour marquer l’évolution de la société.
Nous étions bien. Intarissables sur nos souvenirs, nos enfants et petits-enfants, sur les difficultés affrontées, sur l’état du monde. Sur ceux qui n’étaient plus.
— Vous pouvez rester jusqu’à six heures et demie, si vous voulez, insista la patronne.
Mais il fallait partir et Arnaud nous proposa d’aller à Saint-Jorioz dans la maison demeurée en indivis entre ses frères et sœurs. Je n’y étais pas venue depuis mes vingt ans, nous avons accepté avec plaisir. Une chance de plus, la route du lac n’était pas trop encombrée. Nous avons tourné dans l’ancien domaine de mes arrière-grands-parents, nous sommes passés devant la maison où est née ma mère. Elle appartient maintenant à la Communauté de communes d’Annecy. Nous sommes passés devant un camping, et au détour d’une haie, nous nous sommes introduits dans un grand pré tondu de frais. Sur la terrasse d’une vaste maison se tenait leur fille Anne.
— Les enfants vous attendaient avec impatience !
Louis, dix ans, espérait se rendre dans une librairie avec sa grand-mère.
— C’était promis ! dit l’enfant.
Il fit contre mauvaise fortune bon cœur et nous laissa visiter la maison sans nous interrompre. Au détour des pièces, nous avons fait la connaissance de plusieurs de leurs petits-enfants. Quel plaisir de voir tous ces jeunes dynamiques ! L’une d’elles parlait couramment quatre langues, l’autre jouait de l’orgue en professionnelle, contredisant les vieux croûtons qui veulent croire les jeunes passifs et ignorants.
Sur la route du retour, je repensai aux adieux d’Anne-Marie, appuyée sur son bâton de marche :
— J’espère qu’on se reverra bientôt ! avait-elle dit.
Courbée par la fatigue et les années écoulées, ses yeux lumineux d’aigue-marine intacts, elle avait ajouté en souriant :
— Oui, je suis fière de mes petits-enfants !
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