En quelques jours on est passé de moins -6° à + 18°. Une foule prenait le soleil au Palais-Royal. J’aime le calme de ce paradis à l’abri des bruits de la ville et je n’apprécie pas qu’il soit envahi, mais ce dimanche, après des journées de quasi-confinement, quel plaisir de voir tous ces jeunes se chauffer au soleil, jouer à la pétanque, discuter à l’air libre, parfois démasqués, rire, s’étirer comme pour repousser le Covid! Il y régnait une suspension momentanée des éclats et des gestes trop affirmés. On se lâchait prudemment avec une assurance de bon aloi. Pas ou peu d’étreintes. Duos, yeux dans les yeux, à distance.
Pas de bourgeons visibles sur les tilleuls, des jonquilles et des cyclamens violets éclairaient les petits jardins du centre. Le bassin n’avait pas eu le temps d’être mis en eau après le gel, mais une ribambelle de jeunes assis sur la margelle le bordait d’une frange vivante et bavarde. Un peu partout, on avait sorti un pique-nique, quelques pizzas, des fruits et des douceurs. Rondes amicales de sièges, couples adossés aux murs des galeries, petites assemblées sous les arbres autour des bancs transformés en dessertes. Chacun à sa façon composait, conscient de devoir vivre avec le Covid pour un temps encore indéterminé.
Peu d’enfants — où étaient-ils donc passés ? Probablement en vacances à la campagne. Beaucoup de jeunes adultes sur les colonnes de Buren. Ils se hélaient de colonne à colonne, se photographiaient. Un garçon poussait les fesses charnues de son amie avec des encouragements, une fille rêvait, assise sur la plus élevée. Méditation sur les événements qui bousculait son passage à l’âge adulte ?
Le ciel s’est un peu voilé et je suis rentrée. Devant le bassin, j’ai cru reconnaître un voisin que je retrouvais le dimanche au bistro avec Pierre avant l’épidémie. J’ai crié : « Antoine ! » C’était bien lui. Il se promène tous les jours dans le jardin du Palais-Royal et en connaît les petits potins.
— Sais-tu que le Grand Véfour a été vendu ? Le chef, Guy Martin, va rester, mais il devra faire de la cuisine familiale.
Nom d’un chien ! Lorsqu’en mars, pendant le confinement, à travers la vitre du restaurant fermé et désert j’ai photographié sa carte trois étoiles, comment aurai-je pu deviner que c’était la dernière ? Fini le « Filet de Saint-Pierre cuit à basse température, mitonnée de butternut relevée au piment Basque, jus de laurier ». Place au bœuf miroton et à la blanquette de veau. Je me souviens du bruit de l’explosion de la bombe qui y fit un mort, de nombreux blessés graves et des dégâts considérables. Haut lieu historique, avec ses fresques, ses miroirs et ses dorures Directoire, témoin du Palais-Royal et de ses galeries, centre des plaisirs de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle. Un restaurant légendaire.
— Tu comprends, qui peut maintenant se payer des plats à 120 euros ? Même les entreprises ne pratiquent plus les repas gastronomiques.
Pourquoi ai-je pensé à la ronde et à la ritournelle que nous chantions dans la cour de l’école paroissiale de mon enfance ? « Le Palais-Royal est un beau quartier, toutes les jeunes filles sont à marier, dis-moi si tu m’aimes, dis-moi oui, dis-moi non, dis-moi oui ou non ».
On y retrouvait désormais des familles, des amoureux, les nounous autour du bac à sable. Les employés des bureaux environnants y déjeunent à la pose de midi, dans le pépiement des oiseaux, le ruissellement de ses jets d’eau, à l’ombre de ses tilleuls, devant le foisonnement de ses fleurs, pensées, tulipes, roses, anémones du Japon, asters…, au gré des saisons.
Je communiai ce dimanche avec la petite foule venue y trouver une consolation en ce temps d’inquiétude, une parenthèse heureuse. Le virus se vengera-t-il ?
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