Le déconfinement s’est accéléré. On peut désormais voyager dans toute la France. Les jardins publics rouvrent, à condition des respecter les distanciations. Seule la région parisienne demeure en zone orange. Les consignes du métro restent en usage : l’utiliser le moins possible, suivre les instructions de traçages, attestation de l’employeur aux heures de pointe, masque obligatoire. Je vais à l’atelier aux heures creuses, ce qui me laisse peu de temps pour travailler et je ne parviens pas à redémarrer véritablement. Un peu de vague à l’âme…
Beaucoup de stations sont fermées, ce qui oblige à d’incessantes alternances entre bus et métro, à des marches qui nous rappellent les grèves de l’hiver. Dans l’ensemble, les gens sont prudents et solidaires. L’autre jour, un chauffeur d’autobus me faisait ses confidences sur le temps où il roulait à vide sur tout son parcours. Il conseillait de se méfier des barres de maintien. J’ai ma petite fiole de gel hydroalcoolique dans la poche.
Une voisine, une chirurgienne à la retraite m’a dit dans la cour : « Vous ne trouvez pas qu’on en rajoute un peu ? » Qui croire ? Elle ne portait pas de masque. Mais le lendemain, je la rencontre sur le trottoir, masquée. Je lui dis « Cette fois-ci vous le portez ! » Elle réplique, péremptoire : « Toujours ! » Plutôt que de chercher une explication, mal venue dans ces temps d’improvisation, je lance : « Déformation professionnelle ! » et je devine qu’elle rit derrière son masque.
Samedi, tour du quartier de Saint-Germain-des-Prés. Pris des nouvelles des uns et des autres. Chacun essaie de faire bonne figure. On se dit qu’il y a plus malheureux que soi. On ne sait pas encore si les galeries déjà en mauvaise posture du fait des événements précédents pourront correctement redémarrer. Beaucoup de flâneurs déambulaient dans les rues. Désir d’échapper aux écrans d’ordinateur ? Les musées sont encore fermés. Les terrasses de café rouvriront mardi avec des distances de sécurité.
Dimanche, le jardin du Palais-Royal a ouvert ses grilles. Deux mois et demi que, condamnés au bitume des trottoirs, nous le regardions depuis les galeries comme un paradis perdu. Le jardin du Palais-Royal, c’est notre jardin, à l’abri du bruit de la ville, espace intime et harmonieux. C’est là que nous savourons les premiers rayons du printemps, c’est là que nous pouvons lire agréablement installés sur des fauteuils dont certains sont dédiés à des auteurs qui l’ont fréquenté, sièges solos, sièges duos. Nous l’avons vu changer de saison, nous avons vu pousser les feuilles de ses tilleuls. La fontaine a longtemps poursuivi sa chanson dans le grand bassin rond du centre, puis elle s’est arrêtée, sans qu’on sache pourquoi. Les oiseaux s’en donnaient à cœur joie, les rosiers ont fleuri, mais les fleurs fanées n’ont pas été coupées, le gazon des plates-bandes s’est mêlé de plantain, les allées se couvraient de détritus emportés par le vent. Les jardiniers l’avaient déserté, d’abord confinés chez eux, ensuite probablement pour éviter d’encombrer les transports en commun.
Nous l’avons traversé en famille (quelle joie !) en fin d’après-midi. Il était bondé, les chaises presque toutes occupées, mais il y régnait ce fond d’inquiétude que nous partageons tous et qui n’est pas prêt de disparaître. Á quand le retour de sa sérénité?
On écoute les nouvelles du monde, de la pandémie qui ne faiblit pas en Amérique du Nord et du Sud. Les émeutes antiraciales qui enflamment les USA nous remuent. La France a tourné pendant tous ces mois en grande partie grâce aux émigrés de fraîche ou de longue date venus d’Afrique, qu’ils soient aides-soignants, brancardiers, infirmiers, médecins ou encore livreurs, nettoyeurs de rue, éboueurs. Saurons-nous leur en tenir gré ? Ces métiers ont toujours été sous-payés en France. Il ne suffit pas de les avoir applaudis aux fenêtres tous les soirs à 20 heures. Mais l’avenir économique mondial n’a jamais été aussi sombre.
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