En descendant vers la jetée nord du port de Versoix, vous laissez sur votre gauche une maisonnette en bois cachée dans les buissons, c’est le repaire des Traîne-matins. Ces pêcheurs amateurs, le plus souvent des retraités viennent à la fine pointe de l’aube arpenter le Léman sur leurs barques. Loin pour ne pas dire à l’abri de leurs épouses et compagnes, ils savourent le calme du lac, s’imprègnent des miroitements de l’eau et des lumières qui ourlent les montagnes. Ils somnolent en attendant le tintement de la clochette fixée sur le tambour de traîne avec l’espoir de remonter des perches, quelquefois des brochets et surtout le nec plus ultra, des ombles chevaliers, rois du lac prisés par les plus fins gastronomes. Ils se retrouvent ensuite devant un verre sous des parasols un peu  cachés dans la végétation. Heureux !

Chaque année, les traîne-matins organisent une fête sur le terre-plein des bateaux à l’entrée de la jetée. Ils montent une grande tente, disposent tables et bancs avec une bonne humeur et une énergie qui font plaisir à voir. Fin août la météo est souvent inquiétante, mais rien ne les arrête. Nous les avons souvent vus préparer leur fête, mais nous n’y avions jamais participé. Cette année la température avait chuté de 15 degrés, de gros nuages noirs déversaient des rideaux de pluie sur le lac, mais ces conditions désastreuses n’ont pas découragé nos pêcheurs, ni Jean-Michel et Caroline qui passaient le weekend chez nous.

C’est ainsi que vêtus de pulls et de doudounes nous avons descendu la petite pente émerveillés par un rayon de soleil qui éclaira soudain les mâts des bateaux alignés le long des jetées. Nous nous sommes retrouvés assis devant une assiette garnie de filets de perches et de frites, accompagnée de décis provenant des vignes sur Rolle. Les filets n’étaient probablement pas garantis du Léman vu la quantité prodigieuse avalée à cette occasion, mais on a l’habitude ; la plupart du temps, ils proviennent de l’Europe de l’Est et n’en sont pas moins délicieux.

La musique, genre Claude François, attira sur la piste des danseurs de tous âges. Les grands-parents, les enfants, les amoureux venaient s’y trémousser ou s’y frotter entre deux bouchées. L’éclaircie se prolongea et quelques traîne-matins sont venus effacer les gouttes de pluie sur les tables extérieures avec des raclettes à vitres et les convives ont pu profiter des gris somptueux du ciel et du lac. Naturellement, avant de rentrer nous avons fait un tour de port. Une grande barque de Meillerie, La Neptune, revenait au moteur à son port d’attache de Genève. Elle glissait, longue et élégante, comme pour nous saluer au passage. Soirée d ‘autant plus charmante qu’elle avait été improvisée.