Eglise du souvenirRevenus à l’hôtel  on m’informa sur les modalités de mon retour du lendemain à Paris. Je passai une nuit plutôt paisible. C’est ainsi qu’au matin, une voiture est venue me déposer au Check Point. On se serait cru dans un roman de Chandler. Nous avons passé une chicane gardée par des militaires. Arrivée devant une porte étroite, l’interprète m’annonça solennellement :

– A partir d’ici nous ne pouvons plus rien pour vous.

C’était comme si elle m’avait emmenée aux portes de l’enfer. Je l’ai remerciée et j’ai plongé dans la zone ouest.

Je suis montée dans le métro, comme on retrouve un quotidien un peu oublié, voitures design, vêtements à la mode, coiffures recherchées. Mais il émanait de cette foule affairée une fatigue qui me frappa d’emblée. Je retrouvais les visages fermés du métro de Paris, les fronts penchés sur un journal, le silence des usagers. Était-ce la parabole du chien et du loup, le chien gras et sans souci mais enchaîné, le loup harassé, mais libre ?

Avais-je rêvé des ouvriers qui fredonnaient sur le chantier, des rires dans le train ? Dans cet état totalitaire, il était peut-être indispensable de montrer un visage satisfait sous peine du pire. Peut-être était-ce une réaction, comme une soupape pour supporter la tyrannie ? Bien plus tard, j’ai retrouvé mes impressions d’une RDA insouciante et obéissante dans un film nommé Good by Lénine. Et je sus que je n’avais pas eu la berlue.

A partir de cet instant, mon souvenir se dilue. Je suis certaine d’être passée devant l’église du Souvenir, sorte de chicot rescapé du bombardement de Berlin. Il faut croire que je me suis promenée dans la ville, car j’avais pris le métro au Check Point. Je n’ai pas non plus le souvenir de mon arrivée à l’aéroport. Je me souviens seulement d’un grand hall qui ressemblait plus à celui d’une gare fonctionnelle qu’à un terminal d’aéroport. Presque le seul lien avec l’Europe de l’Ouest, il fonctionnait à une cadence bien supérieure aux aéroports de l’époque.  Je me souviens surtout à mon arrivée à Paris du résultat de l’examen médical et biologique : la tour de Berlin n’avait laissé aucune trace ni physiologique ni hormonale de cet embryon dont je n’avais pas eu le temps de réaliser l’existence.

Ces jours-ci on parle beaucoup de l’ex-RDA, c’est peut-être aussi ce qui m’a incité à extraire du temps ce voyage un peu surréaliste.

Fin