Une semaine en Sicile.
De retour hier soir, encore abasourdie par l’attente dans l’aéroport de Catania et la foule qui s’y pressait, je vais essayer de résumer un séjour aussi varié que savoureux.
Nous étions invités par Marina, une amie du café homérique de Gilles. Sicilienne ayant épousé un français, elle vit à Paris. Sa famille possédait un domaine sur la commune de Taormina, à l’est de la Sicile, au nord de Catania, sur les pentes de l’Etna. Ce domaine fut partagé à la mort de ses parents et en partie vendu. Elle garda une bergerie qu’elle aménagea avec toute l’astuce et tout le confort moderne. Elle fit creuser une piscine, mais conserva les mangeoires des chèvres, en souvenir de son enfance. Jeune retraitée de l’UNESCO, elle y passe tous ses étés retrouvant sa famille et ses amis siciliens. Un lieu de rêve.
Notre première impression fut assez désolante. Depuis l’aéroport, on voyait défiler des arbres calcinés, des collines dévastées et même quelques maisons brûlées. La région avait été la proie des flammes fin juillet, l’autoroute avait été coupée, on en avait parlé dans les médias internationaux. En sortant du village où Marina était venue nous chercher, le spectacle ne valait guère mieux. Le cœur en écharpe, je me demandais ce que je faisais là lorsque sa voiture s’est arrêtée devant un grand portail. Au milieu d’un champ noirci par le feu, sous un immense eucalyptus intact il s’ouvrit sur des bougainvilliers en fleur, des oliviers couverts de fruits, un jardin avec piscine agrémenté de fleurs débordant des grands pots d’argile rose.
Marina nous raconta :
— Mes filles et moi étions ici, avec plusieurs enfants. Les flammes dépassaient des murs dans un bruit d’enfer. C’était effrayant ! On nous avait dit de ne pas chercher à partir. Au moment où nous allions désespérer, les carabinieri sont venus nous évacuer. Imaginez les enfants.
— Ils ont du faire des cauchemars, ai-je dit.
Elle s’étonna de ma réflexion, heureuse qu’ils soient encore en vie. Peut-être un réflexe sicilien, dur à la difficulté, pudique et peu expansif. Elle-même veuve d’un mari qu’elle adorait a affronté seule l’adolescence de ses deux filles sans se plaindre, avec une rare fermeté. Caractère en accord avec une terre de laquelle il fallait arracher sa subsistance, soumis aux caprices de l’Etna. Elle me montra les cendres noires qui liaient entre elles les larges tuiles romaines de la bergerie.
— Ça arrive de temps en temps !
Mon cousin Philippe nous avait assuré que Taormina est un des plus beaux sites du monde. Dans Le Radeau de la Gorgone, conseillé par Marina, l’académicien français Dominique Fernandez partage cette opinion. C’est donc dès le lendemain, après une soirée à discuter à la fraîche, nous avons laissé notre hôtesse à ses préparatifs de départ, (elle s’apprêtait à retourner à Paris) pour aller visiter ce lieu mythique.
À flanc de coteau et sur le sommet de deux collines telles d’immenses murailles se dessinant sur le ciel bleu, la ville domine la mer. Nous y sommes montés en téléphérique et nous nous sommes dirigés sans attendre vers le fameux théâtre gréco-latin.
Comment était-ce possible ? Comment avait-on pu ancrer, excaver un tel ouvrage en pleine pente ? D’énormes rochers en encadraient l’entrée. Les Grecs avaient profité d’un amphithéâtre naturel, les Romains l’avaient agrandi pour les jeux du cirque. Il pouvait contenir 5400 personnes. Imaginez la taille ! La mer et l’Etna au loin, nous avons grimpé en haut des gradins et nous sommes restés immobiles et silencieux pendant plus d’un quart d’heure à nous imprégner de cette association entre la nature et des siècles de civilisations. La menace du feu de la terre et l’orgueil des hommes. Les touristes peu nombreux en septembre n’étaient que des fourmis sur l’empilement des pierres.
Nous avons déjeuné dans la vieille ville aux rues tortueuses bordées de palais et de maisons à balcons ornementés, sur une minuscule terrasse tenue par deux vieilles demoiselles qui nous ont bichonnés comme si nous étions de la famille.
Il faisait tout de même chaud et nous ne sommes pas de fanatiques touristes, après avoir flâné dans la rue principale et acheté des céramiques pour nos enfants nous avons rejoint le funiculaire. En bas les rochers aux contours déchiquetés battus par les vagues faisaient irrésistiblement penser à l’Odyssée d’Homère qui avait été récitée dans son intégralité au printemps dernier par la compagnie Démodocos. Nous étions sur le trajet d’Ulysse, à deux pas de Charybde et de Sylla.
De retour, nous avons sauté dans la piscine et le soir nous étions reçus chez Maurizio et Rosanna. Ah, la bonté de ce couple, l’un géant, à la mesure de son métier de géologue, s’exprimant dans un français lent et rocailleux, l’autre douce et ronde, ancienne institutrice vive et attentive à saisir quelques mots d’une langue qu’elle ne pratiquait pas.
Nous eûmes la chance d’entendre maintes légendes siciliennes, entourés des céramiques dont ils étaient amoureux et qui les illustraient à ravir.
(à suivre)
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