Régulièrement, de l’eau coule et s’infiltre chez nous depuis l’appartement du dessus. Après six mois de séchage, le plafond tombe en lambeaux sur nos têtes et une entreprise de l’assurance vient réparer les dégâts.
Nous avons tous plus ou moins connu ce genre de désagréments.
Un beau matin à l’aube, on sonne à votre porte et une armée de peintres scotche des plastiques sur le palier, dans le couloir et s’installe pour une durée indéterminée. Allées et venues, échelles, outils et sacs de déchets, poussières d’enduits, pots de peinture seront votre quotidien.
Chaque matin, ces jeunes gens, lesquels aujourd’hui parlent rarement français, vont se changer le plus discrètement possible en arrivant, pas plus à l’aise que nous. Ils me verront sortant du lit, en robe de chambre, les cheveux dépeignés. Il faudra leur laisser la place dans la cuisine, jongler avec l’occupation des toilettes. Un mauvais moment à passer.
Des progrès apparaissent. L’équipe est désormais reliée à un réseau qui fait tourner les compagnons de chantier en chantier, qui distribue sur le trottoir les fournitures au fur et à mesure de l’avancement des travaux. On peut en permanence entrer en contact avec le chef. Efficacité et rapidité s’en suivent.
Il y a ceux qui cassent, ceux qui transportent les déchets, celui qui enduit et ponce, celui qui peint et tapisse. À chacun sa spécialité. Un peu comme à l’hôpital autour des tables d’opération.
On ne les distingue pas vraiment les uns des autres. On ne connait rien d’eux ni de leur vie et cela me gênait.
Carmen, la gardienne de l’immeuble m’avait raconté que son mari avait discuté avec un des ouvriers de la façade :
— Il avait mal à la tête. José lui a donné un Doliprane. L’ouvrier lui a dit qu’il n’arrivait pas à dormir parce qu’il pensait trop à sa famille restée en Algérie.
Elle-même avait connu cela, c’était dur !
Le dernier arrivé, un homme grand et basané, travaillait en silence, sombre et consciencieux. Sans savoir s’il parlait français, je me suis lancée :
— Vous venez de quel pays ?
Il n’a pas compris. J’ai pointé un doigt vers moi et j’ai dit :
— France !
Puis je l’ai dirigé vers lui :
— Vous ?
Il m’a regardée, stupéfait. Après une seconde d’hésitation, il a ouvert la bouche et j’ai deviné plus qu’entendu :
— Égyptian !
Avec des mimiques, je lui ai fait comprendre que j’étais allée en Égypte et j’ai ajouté :
— Magnifique !
Son visage s’est éclairé. Il avait compris. Toujours avec des mimiques et des mots simples, je lui ai demandé où il habitait. J’ai cru comprendre que c’était dans la banlieue du Caire et qu’il y avait laissé sa famille. J’ai compris qu’il avait deux enfants. Avec les paumes à distance du sol, je lui ai demandé leur âge :
— Deux et quatre ans, ai-je entendu.
J’ai demandé :
— Égypte, Mama ?
Il a dit oui. Et j’ai demandé leur prénom, toujours avec des mimiques :
— Mohamed, Ahmed, a-t-il dit en aspirant fort les H.
— Et la Mama ?
— Nadia !, accent tonique sur le premier A.
Pas facile à comprendre ! Mais le lien était établi. Je repensai à notre voyage en Égypte, lorsque nous avons remonté le Nil depuis Louxor. J’avais tellement aimé ce pays, ce fleuve, ces habitants bavards et rieurs. Je pensai à sa vie là-bas, au soleil égyptien, à sa vie en France. Je lui ai expliqué que j’avais aussi des enfants et aussi quatre petits-enfants. Il a paru intéressé. Il m’a demandé leur âge. Avec les mains et les doigts, j’ai égrené l’âge de mes enfants. Il voulait savoir l’âge de mes petits-enfants. Puis je lui ai montré son mobile :
— Téléphone, Égypte ? Tous les soirs ?
Son visage s’est illuminé et il a dit oui !
Il est encore resté une journée avant de terminer le chantier. Les déblayeurs sont venus ramasser les plastiques de protection et les outils. Il a posé le panneau de papier peint, peaufiné les détails et nous a dit que le chef allait venir dans vingt minutes pour clore le chantier. Il nous a dit au revoir et je lui ai dit :
— Ce soir, bonjour à Nadia, Mohamed et Ahmed !
Il a dit oui d’un air amusé et il est parti.
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