Une semaine de solitude. Gilles était allé dans le Gard pour jouer Les Suppliantes.
Solitude totale dans le froid, la pluie, le vent. Village désert, pas de bains dans le lac, peu de promenades, pas de repas dans le jardin. Voilà qui vous oblige à réfléchir, d’autant plus que j’ai dû gérer un problème cardiaque.
Forte de mon expérience du début du mois de la traversée de Paris en taxi vers l’hôpital Saint-Joseph, j’ai tenté d’éviter ce genre d’aventure. Pour atteindre l’hôpital le plus proche d’ici, il faut se rendre en Haute-Savoie et donc traverser par la rocade le canton de Genève. L’attente aux urgences peut atteindre plusieurs heures. J’avais entendu dire grand bien d’un service médical dans l’Ephad de Tougin, mais il fallait appeler le 15 et je risquais de me retrouver dans une ambulance sans autre forme de procès. À pied, le cœur en chamade, je suis allée m’informer sur place. La secrétaire m’a expliqué que le médecin était en train de tourner, qu’il y avait un électrocardiogramme et ce qu’il fallait sur place. Elle ajouta :
— Si vous voulez, une infirmière peut vous examiner. Il se trouve qu’elle est libre.
J’ai décliné :
— Je n’ai rien sur moi, ni papier d’identité, ni carte vitale.
— À vous de voir, me dit-elle, un peu inquiète.
— Je me connais, ça va aller. Je sais que je peux être prise en charge, c’est le principal.
Je savais mon cœur un peu fatigué, mais pas plus que ça et j’étais protégée par un traitement au long cours. Je devais seulement patienter. Pas facile quand on est seule. Il retrouva son rythme au bout de 24 heures. En attendant, le moindre geste me parut insurmontable et le temps bien long, surtout dans cette atmosphère lugubre. Pas bien méchant, mais rien de tel pour vous faire réfléchir à la vie passée, à l’avenir qui se raccourcit, à ce qu’on va laisser derrière soi.
La solitude provisoire a ceci d’étrange qu’elle vous fait passer par des états d’esprit successifs intéressants : sentiment de liberté, exploration de situations inhabituelles, recherches de solutions, sentiment d’abandon, espoirs au son du portable, le travail comme salut, la radio durant les repas, la voiture comme une possibilité et j’en passe… Au bout d’une semaine, l’habitude avait pris le dessus, d’autant plus que le temps s’arrange un peu.
Heureuse de retrouver Gilles, je sais qu’il me faudra de nouveau partager l’espace, accepter toutes ces petites concessions qui font la vie à deux. Il a vécu des moments de rencontres, de convivialité qu’il me racontera. Semaine fructueuse.
Je suis allée au cinéma dans le froid et la pluie. Nous étions cinq dans la salle, dont trois femmes seules. Le mouvement des images, un excès de gros plans, une sono trop forte m’ont fatiguée. J’ai été contente de retrouver le silence du village et de la maison.
Nick et sa famille sont revenus de leurs vacances à Valence en Espagne. Au départ, 38 degrés, à l’arrivée 17. Leur chien Jarvis avait l’air assez sonné.
Hier, à la caisse du Carrefour Market. J’ai un mouvement de recul devant le caddy archi plein de la cliente devant moi, une femme corpulente pour ne pas dire obèse. Son petit garçon me regarde avec une certaine hostilité, huit-dix ans, maigre, des yeux qui mangent une figure en mauvaise santé.
Machinalement je regarde défiler ses achats. Il n’y a là que de la nourriture néfaste, beaucoup de gâteaux, de produits ultra transformés, pas de légumes, pas de fruits. Mon esprit critique commence à se mettre en route quand je réalise qu’ils sont presque tous en promotion. Le garçon sur la défensive suit mon regard, la femme me lance un sourire, je retiens la beauté de ses yeux d’améthyste. Le caissier lance le total d’un ton neutre après avoir fait des calculs de ristournes sur nombre d’articles.
Quand ce fut à mon tour de payer, mes six ou sept articles coûtèrent à peine moins que son caddy rempli à rabord. Je n’avais pourtant acheté que du quotidien…
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