La villa Romana del Casale ne se trouvait qu’à un kilomètre de l’auberge où nous avions déjeuné. Pourquoi l’hôtel ne nous avait-il pas dit qu’on y aurait trouvé une cafeteria ? Il est probable qu’il avait jugé plus sensé de nous diriger vers un collègue agrotouriste.
Le parking de très grande taille nous renseigna aussitôt sur la notoriété du site.
Sur une colline boisée, une rampe empierrée nous conduisit jusqu’au péristyle de l’entrée. La fouille était recouverte d’une immense verrière. Nous avons déambulé sur un réseau de passerelles au-dessus d’une incroyable profusion de mosaïques, la plus importante surface connue, dans une trentaine de salles. 35 000 m2. Elles avaient été protégées par un glissement de terrain et redécouvertes au début du 19e siècle. Une déambulation dans la vie de l’époque, ses activités agricoles ou culturelles, ses légendes, scènes de chasses dont des chasses au lion, à l’éléphant, jeux du cirque, scènes érotiques, dans un état de conservation véritablement prodigieux.
Le mystère demeure sur le propriétaire et commanditaire de cet immense domaine. Peut-être Lucius Aradius Valérius Proculus, gouverneur de la Sicile et consul, car il avait organisé en 340 à Rome des jeux spectaculaires, ce qui pouvait expliquer les scènes de chasse en Afrique.
On communiait avec les activités de chacun, leur imaginaire, par delà les millénaires. Quelle étrange expérience ! Beaucoup de questions au-delà des images. Quels points communs avec nous ? Un monde débordant de dynamisme, mais comment ne pas penser aux fauves dans les arènes. Comment associer ces scènes bucoliques aux combats de gladiateurs ? Civilisation et barbarie, l’éternelle balance des humains.
Il était tard, les boutiques fermaient. Nous avons longé la cafeteria. Nous y sommes entrés avec l’idée d’y acheter de quoi dîner, en pensant à la petite table de fer du balcon de l’hôtel devant la montagne. Les plats proposés typiquement siciliens semblaient délicieux, mais pouvait-on les emporter?
Ce fut un festival de bonne volonté. On nous trouva des caissettes, des serviettes, des couverts, un grand sac. On chauffa au maximum les gratins d’aubergines et de poivrons au fromage pour la route, on nous conseilla des gâteaux. On y joignit une grande bouteille d’eau, du sel et du poivre, des couverts des serviettes. Les serveurs semblaient amusés par cette demande. À la caisse, un homme d’un certain âge, barbu et bienveillant ajouta même quatre petits gâteaux aux amandes gratuitement. On s’est quittés avec des sourires en se souhaitant une bonne soirée.
De retour à l’Arménide, le petit parking s’était rempli. Nous sommes montés dans la chambre illuminée par le soleil du soir. Après une douche bienvenue, nous avons mis le couvert sur la petite table ronde et nous avons savouré un dîner sicilien qui n’avait rien à voir avec la cuisine internationale des cafétérias de musée. D’une certaine façon, Lucullus dînait chez Lucullus.
Ensuite, nous nous sommes allongés sur le lit avec le guide vert et les explications historiques d’internet, pour vérifier que nous n’avions pas eu la berlue et que ces incroyables mosaïques attendaient elles aussi la venue de la nuit à deux kilomètres de là.
Le sommeil fut un peu long à venir. Le matelas n’était pas de première jeunesse et des éclats de voix au rez-de-chaussée ont opposé le propriétaire et sa femme durant une bonne heure. J’ai pensé avec amusement à la profession de foi hippy portée par le nom de l’hôtel : Amour et harmonie.
Après un petit déjeuner au milieu de chats errants, la jeune fille au comptoir nous a demandé d’un air inquiet si ça avait été. On l’a rassurée et nous avons repris la route.
Dorée par le soleil, Caltagirone nous est apparue perchée sur une colline, avec son dôme et ses vieilles maisons étagées. Nous venions surtout pour son musée de la céramique.
Non, ce n’était pas le Musée de Sèvres. Rien de très spectaculaire, mais le déroulement de 3000 ans de céramique, jusqu’à nos jours, et là aussi, un heureux mélange d’influences. Une maquette de four arabe côtoyait un four hérité des Grecs.
Une savoureuse imagerie émaillée recouvrait les pots et les carreaux de terre avec une liberté qui m’a réjoui le cœur. J’en suis repartie, bourrée d’idées
Nous sommes rentrés chez Marina où nous avons sauté dans la piscine. Elle nous avait autorisés à vider le frigidaire et nous avons terminé notre séjour comme des princes, toujours sous un soleil radieux. Le lendemain, nous avons longé la mer au sud de Taormina. Un port abritait des bateaux de pêche et de plaisance, il faisait un peu penser à Saint-Tropez en plus grand, plus sévère, plus lumineux, un peu comme Syracuse.
Et nous nous sommes envolés vers Paris. Nous avons reconnus par le hublot de l’avion les lieux que nous avions parcourus, comme un adieu.
Au retour à Paris, Jean-Marc nous a dit qu’Anna de Noailles avait écrit sur Syracuse. Oui, un superbe poème. En sa compagnie, nous avons de nouveau parcouru dans sa lumière les ruelles, les remparts, sa blancheur bordée du bleu intense de la mer.
Merci Marina.
Commentaires récents