J’aime voir le corps de la flûtiste onduler. On dirait que les sons s’envolent du bout de ses doigts. Mon regard se promène vers les mobiles qui pendent au plafond. Je connais leur auteur. Un personnage plus qu’étrange, un rejeton de la haute aristocratie bulgare. Né difforme, il ne mesure pas plus d’un mètre, seules ses mains sont à l’échelle d’un adulte, fortes et larges. Il se meut très péniblement accompagné d’une aide aux petits soins pour lui. Son épouse beaucoup plus jeune que lui, très belle, plasticienne, se produit dans des performances d’art contemporain. Il y a longtemps que je ne les ai pas vus. Sont-ils toujours ensemble, est-il toujours en vie ? M’approchant du fauteuil qui lui était attribué à Philomuses, je lui avais tendu la main, il l’avait saisie avec détermination pour un baiser difficile à oublier, un condensé d’élégance et de courtoisie. Autour de lui virevoltait une nuée de jeunes filles en fleurs.
Aujourd’hui, mon regard erre autour de ses machines volantes composées de bois léger et de fils de lin, aériennes, sophistiquées comme entourées d’un nuage d’ailes de libellules, elles semblent chercher à s’élancer comme emportées par le souffle de la flûte.
Les bûches rougeoient maintenant dans la cheminée, la température est douce. J’évite de gigoter. J’aimerais me lever, déambuler au rythme des sons, sidérée par la parfaite immobilité de mon voisin américain. À la fin, les musiciennes nous offrent en bis un « Rêve d’amour » de Schubert, complètement rénové.
Le buffet fut rondement dressé, mais je ne suis pas restée longtemps. Encore quelques mots échangés avec l’Américain et j’ai retraversé le Pont Neuf, dans le scintillement sombre du fleuve.
Fin
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