Dent de Crolles (à travers le pare-brise de la voiture).

Paris, Tougin, Grenoble, Tougin.

Jeudi, départ en TGV pour Tougin. Gare de Lyon bondée.

Vendredi, pluie, nous sommes restés nous reposer à Tougin.

Samedi, pour la première fois depuis novembre nous avons pu aller chez nos enfants à Grenoble. Nous ne les avions pas vus depuis Noël à Paris. Pendant tout ce temps nous avions communiqué par visioconférence. C’est mieux que rien, mais ne peut remplacer la présence, le « présentiel » comme on dit aujourd’hui.  Se voir sur l’écran est un peu embarrassant  et ôte de la spontanéité aux conversations. Certains se cachent sous une lumière insuffisante, d’autres éteignent leur image, on s’autocensure. La virtualité de l’écran impose une absence de contexte, d’odeurs, de bruits quotidiens.

Les retrouvailles en chair et en os n’en sont que plus surprenantes. On pourrait croire qu’on va mettre les bouchées doubles, compenser par un enthousiasme débridé le ralentissement dû au confinement. Mais on a un peu perdu l’habitude de lire les émotions sur les visages, de décoder les comportements. On doit rétablir les identités sur la base de nos sens et non plus sur des désirs plus ou moins fantasmés. On prend son temps, on retricote la signification des mots, la marge de mystère de nos libertés réciproques. Une nouvelle aventure, passionnante  !

Nous avons déjeuné au soleil dans leur jardin. Quel plaisir ! Un merle nous tournait autour, un peu étonné, pas trop farouche, ce qui ne l’empêchait pas de se goberger de vers de terre, nombreux en raison de la pluie qui ne cesse de tomber depuis plusieurs semaines. Les iris et les pivoines étaient en fleurs, couleurs vives sur un fond d’arbustes verts tendre et d’herbe fraîchement tondue.

Dans le TGV, j’avais entendu une dame dicter sur son smartphone un message de condoléances. Elle reprenait ses phrases, en rajoutait dans une sympathie plus ou moins codifiée, faisant l’éloge du mort. Gênée, mais intéressée, j’ai découvert là un moyen de noter des événements en cours de voyage et Marius s’est fait une joie de m’enseigner la marche à suivre. Merci à lui, et au défunt par la même occasion. J’ai cependant constaté que l’oral n’a rien à voir avec l’écrit. Une parole lancée et écoutée ne possède pas le même pouvoir d’évocation que le mot écrit et lu. Ce sont des domaines différents.  Il est vrai que la facilité des textos à peine écrits, à peine lus, vite oubliés, vite supprimés brouille cette différence.

Nous avons couché à Grenoble et nous sommes repartis le lendemain vers 14 h. Il fallait profiter du soleil pour débroussailler le jardin de Tougin avant qu’il ne pleuve à nouveau. Ce n’est pas que l’« exploitation » soit bien grande, mais en principe nous ne pourrons pas revenir avant la fin juin et les herbes commençaient à étouffer les rosiers.

Le retour entre la chaîne de Belledone et le massif de la Chartreuse s’est déroulé sur une autoroute vidée par le week-end de la Pentecôte. Les sommets encore enneigés flirtaient avec des nuages légers, étirés, d’autres plus sombres et menaçants. Difficile d’établir un lien entre la puissance des sommets désertiques tendus vers le ciel et les jeunes entassés sur les terrasses des cafés de Paris du mercredi précédent. Vitalité cosmique, vitalité humaine ?

En revenant de Grenoble, nous avons traversé le petit bout de Suisse derrière Genève. Mon mobile a sonné. Selon mon pays de résidence, je devais me mettre en quarantaine. Pas un chat à la douane.

Gilles a fait le plus gros du travail dans le jardin en friche. Pas facile à gérer par temps de Covid ! D’habitude, il bénéficie de plusieurs séjours  au printemps.

Lundi, nous avons pu retrouver des amis de longue date sur une terrasse de restaurant à Hermance, au bord du Léman. Une chance, car la météo s’annonçait détestable. En deux tablées, de quatre et de trois, éloignées de deux mètres pour obéir aux règles sanitaires suisses. Nous avons changé de places au cours du repas.

Il ne faisait pas très chaud, mais bien couverts nous avons pu savourer les lumières changeantes du lac et de la montagne.   Le calme plat tout en gris lumineux a cédé la place à une surface  agitée, plus sombre, striée par la blancheur des moutons se poursuivant sans relâche. Magnifique, et même un peu troublant ! Nous nous sommes quittés, secrètement émus. Nous avions arraché à la vie quelques moments d’amitié heureuse.