Vendredi, un délicieux concert de mélodies françaises, Fauré, Ravel, Verlaine… Des mélodies folkloriques de Benjamin Britten m’ont fait penser à Julian Snelling qui l’aimait tant. Ada Bonara, une voix mezzo soprane, juste et chaude, associée à Manon de Preissac, harpiste.

Nous nous sommes ensuite retrouvés plus d’une dizaine dans un bistro autour d’Ada. Bourrée de talent, très belle femme, elle pratique mille activités créatrices, trop nombreuses pour être énumérées en quelques lignes. Paris, banlieue populaire, province, campagne. Peut-être à une autre occasion…

Samedi, Jean Cocteau et les dimanches de Carnetin à l’ENS.

Une correspondance entre Cocteau et un prince roumain, remise en main propre au conférencier par le fils de celui-ci. Dix-sept lettres interrompues subitement. Le travail du chercheur, un spécialiste du poète avait surtout consisté à trouver la raison de cette interruption soudaine à travers les documents répertoriés. Il en avait trouvé trois, toutes aussi savoureuses les unes que les autres. Je vous cite celle-ci :

Lors de leur deuxième et dernière rencontre à Paris, Cocteau avait demandé au prince de l’accompagner à une soirée mondaine dans un château assez éloigné de Paris. À l’arrivée, il l’avait abandonné dans le taxi, à charge de payer la course, aller et retour. Le prince était beau, titré, introduit au Palais, mais fauché comme les blés. Il avait été obligé de donner l’adresse d’une amie pour pouvoir payer la course. « J’ai été un peu déçu ! » avait-il déclaré.

Exposé qui n’a pas revalorisé l’image que je me fais de Cocteau.

Les dimanches de Carnetin, par Jean-Bernard Garreau. De 1904 à 1907, un groupe d’écrivains de situations sociales, de fortunes, de renommées contrastées, dont le riche et célèbre Valéry Larbaud, se retrouvaient chaque dimanche dans une maison modeste louée à Carnetin, un village de banlieue accessible par le train. Marguerite Audoux en était l’unique femme. Couturière de métier, ancienne bergère, elle avait publié un roman, Marie-Claire. Inspiré de sa vie et vendu à plus de cent mille exemplaires, traduit dans le monde entier, le titre a donné son nom au journal qui existe encore. Un rare exemple de mélange d’opinions politiques ayant abouti à une amitié commune et profonde malgré des divergences et des disputes.

Nous avons continué les discussions dans un bistro, rue Gay Lussac. Nous avons évoqué les cheveux gris ou blancs, omniprésents dans le public des concerts de musique classique ou dans ce genre de conférences. Une fois disparus qui les remplacera ? Les jeunes se précipitent dans ces enseignements, mais ils sont absents dans les salles.  

Dimanche matin, alors que j’allais à Saint-Eustache retrouver Pierre et Antoine, un nombre inhabituel de joggeurs courrait sur le trottoir.

— Une course qui passe devant les monuments de Paris. Ouverte à tous, on peut même marcher, me dit le bénévole vêtu d’un gilet vert-pomme qui les dirigeaient vers la place des Victoires.

Hélas, Pierre n’était pas encore revenu d’Évian et je suis retournée chez moi par le jardin des Halles. De la musique provenait du kiosque. N’importe qui peut s’y produire et c’est souvent intéressant. Hip hop, musiques du monde. J’ai décidé d’aller y faire un tour.

En fait, le bruit provenait de la grande allée. L’enregistrement et le départ de la course, intitulée Run in the City, y étaient installés, deux files, une pour le circuit de 15 km, une autre pour celui de 9 km. Sur un podium, un animateur envoyait musique et instructions.

En l’espace de quelques minutes, une foule de joggeurs s’est amassée vers le portail de départ. Des jeunes pour la plupart, mais aussi d’autres plus âgés, tous revêtus de couleurs fluos. La foule lâchée par paquets, se dispersait selon les circuits, à droite ou à gauche de la Bourse de Commerce. Des groupes hilares, des copines bavardes, des vieux bravaches, quelques solitaires au visage concentré. Les numéros de dossards, autour de 1000 devant la Grande Poste, atteignaient maintenant les 10 000 ! Des panneaux fléchés avec la recommandation : On respecte le code de la route, des bénévoles en gilets aux carrefours. À ma question, on a répondu que tout avait été organisé par Internet. Cela faisait plaisir de les voir courir dans le soleil, rieurs et dynamiques. Internet a du bon ! Comme on était loin des pays totalitaires et de la peur qui se répand ces temps-ci dans le monde entier !

Attraction du parcours, place des Victoires, une fanfare jouait à côté d’un vieil autobus à plate-forme. Je me suis approchée.

— Sans vouloir vous offenser, me dit un jeune homme, vous avez dû les utiliser de votre temps.

— Bien sûr ! La meilleure place était sur la plate-forme, à l’air libre.

— Mon grand-père était poinçonneur d’autobus, me dit-il.

Et il ajouta :

— C’était un bon poste. Il aimait son métier. Dans la famille, c’était celui qui avait réussi !

Il ajouta, en riant :

— C’est pas comme moi !

Nous avons discuté un petit moment. En le quittant, je lui ai dit :

— Je suis très fière d’avoir rencontré le petit-fils d’un poinçonneur.

Il me lança un sourire radieux.