Mettre des mots sur Paris n’est pas chose facile ! Tant d’autres en ont parlé, souvent avec talent, parfois avec génie. Pour ma part, Paris n’est pas du domaine des mots. C’est comme l’air que je respire, mon pas sur la marche du trottoir ou sur le passage pour piétons. C’est le geste fugitif du passant que je croise, un reflet dans une vitrine, le vélo qui me frôle, la voiture qui s’arrête pour me laisser passer, un rire surpris à la dérobée, les fronts penchés sur le bitume. « Atmosphère, atmosphère » disait Arletty. « Est-ce que j’ai une tête d’atmosphère ? » Oui, j’ai une tête d’atmosphère, l’atmosphère de Paris. Peut-être comme d’autres celle de Rome, ou de New York, ou encore n’importe où. Pour moi, c’est celle de Paris.
On me dit « Comment pouvez-vous habiter Paris, c’est sale, ça pue, c’est bruyant, les gens sont désagréables, etc… ». Ce sont les mêmes qui nous traitent de privilégiés. Oui, Paris est devenue une ville très chère. Finie la rue Montorgueil de notre arrivée, les artisans dans les cours, les marchandes des quatre saisons, les bouchers devant le zinc, tabliers ensanglantés. Les titis qui sifflaient les jolies filles en mangeant leur gamelle dans les squares. Les trognes rougeaudes qu’il valait mieux éviter, les autobus aux banquettes minuscules entre lesquelles se glissait le contrôleur, la plate-forme arrière et ses gaz d’échappement. Le vacarme des klaxons.
Aujourd’hui, vous y cotoyez le monde entier, pakistanais, africains, asiatiques, russes etc… Vous ne savez pas toujours s’ils sont touristes ou serveurs, plombiers ou médecins. L’accent parigot a disparu au profit de l’accent des cités venues du Maghreb. Les vieux Parisiens meurent les uns après les autres quand ils ne sont pas relégués dans des maisons de retraite en province. Ils sont remplacés par les « bobos », des jeunes aux revenus confortables qui préfèrent ses petits appartements aux espaces plus vastes de la banlieue. Des quartiers cossus aux avenues désertes gardent leur population bourgeoise repliée sur elle-même. Paris résiste, reste Paris, à Belleville, à Passy, à Montmartre. La blague n’est jamais loin, une sorte de civilité par nécessité préside aux parcours encombrés. Les bagarres y sont beaucoup plus rares qu’autrefois. On n’entend plus le sifflet des policiers dans les carrefours. N’en déplaise aux nostalgiques, Paris n’est pas devenu l’enfer qu’ils décrivent, même si les gangs de pickpockets sévissent dans les quartiers touristiques et que des milliers de sans-abris s’entassent misérablement sous les métros aériens. Le monde a changé, mais Paris conserve ce je ne sais quoi décrit par Victor Hugo dans les Misérables, ce je ne sais quoi de résistance qui autorise à ne pas se cacher pour rire ou pleurer, qui pousse à se révolter, une ville de liberté.
C’est peut-être pourquoi, les gilets jaunes, comme les contestataires des grèves venus de toute la France n’ont pas trouvé tant d’opposition que ça, dans leur tentative de reprendre possession des rues d’une capitale dont ils sont, il faut le reconnaître, de plus en plus exclus.
À Paris, on ne s’ennuie jamais. Un petit événement de rue, un petit mot à un inconnu, le souci de faire sa trace au milieu des travaux incessants, dans les méandres incompréhensibles des signalisations sont autant de petites aventures, à vrai dire parfois fatigantes, mais pourvu que cela dure ! La crise économique vide les magasins, les bistrots et les restaurants, remplit la ville de réfugiés. Paris a toujours vécu sur le fil du rasoir des insurrections et s’en est toujours sortie… Nous allons voter dans quinze jours. Ne laissons pas la ville aux seuls touristes et aux seuls internationaux capables de s’offrir ses logements à des prix de plus en plus exorbitants, sous le prétexte d’une tranquillité mortifère.
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