Notre voisin, monsieur Vallois

La vie parisienne a repris après la parenthèse de l’été. Comme si de rien n’était, peut-être un peu trop. Un désir d’aventures me traverse la tête et le corps, malgré ou à cause de l’agitation qui m’entoure. Comme c’est étrange, à mon âge ! Je marche dans les rues, je travaille à l’atelier en attente de je ne sais quoi.

Je pense à Tinka repartie dans la vie après le décès brutal de son mari. Elle a terminé son pèlerinage, Bilbao, Compostelle (700 km). Elle m’a envoyé un message :… tout ça m’as donné la force pour continuer maintenant, avec la vie et surtout l’art.

Luce a attendu septembre pour partir. Sur les traces de Tinka ? C’est possible ! J’ai choisi la voie d’Arles,… je dors ce soir à Lunas,… 200 km depuis le début. Elle s’estimait en panne après la fin de ses études.

Elles m’impressionnent. Leur recherches, leurs espoirs sont un peu les miens, mais elles sont jeunes, l’avenir s’ouvre devant elles.

Nous avons invité notre voisin du dessous, monsieur Vallois, 70 ans environ, à venir prendre le café. Il n’y a pas plus casanier que lui. Son épouse vit dans le midi à Forcalquier, elle ne supporte pas Paris. Il la rejoint de temps en temps pour débroussailler leur jardin. Un ménage volontairement sans enfant. Il s’est passionné pour l’astronomie après une carrière de direction dans les grands travaux des Ponts et Chaussées et passe beaucoup de temps sur Internet.

Il nous a dit :

— Je n’ai plus envie de voyager. Je me souviens de mon enthousiasme en découvrant New York à 30 ans, j’ai travaillé en Afrique, mais maintenant, cela ne me dit plus rien.

Je lui ai dit :

— Vous pourriez faire un saut à Londres. Ça vous changerait !

— Je pourrais consulter des livres qu’on ne trouve pas  ailleurs, mais je n’ai plus envie !

Monsieur Vallois reste à Paris en août, à peu près seul dans l’immeuble et s’en trouve bien. Il a la gentillesse d’arroser nos plantes. Il le fait avec une discrétion rare. Quand Gilles a proposé de l’appeler par son prénom, il a répondu, gêné :

— Je regrette, mais je ne pourrai pas, je n’en ai pas l’habitude !

Nous y allons des « monsieur et madame » qui ne cèdent pas aux décennies. Mais nos rencontres sont, lentement mais surement, de plus en plus confiantes.

Lundi dernier, il nous est apparu assez inquiet. Il a fini par nous confier qu’il devait subir une opération du genou en octobre. En fait, on lui posait un substitut de cartilage, une opération relativement bégnine.

Nous avons beaucoup parlé des nouvelles technologies, de leurs conséquences sur le monde actuel. Passionné par l’intelligence artificielle, il lui pose des tas de questions pour vérifier sa fiabilité.

— Par exemple, je lui ai demandé quelle était mon espérance de vie.

— Alors ? ai-je osé, estomaquée.

— Huit ans !

J’ai sauté au plafond :

— Ce n’est pas beaucoup, nous serions déjà morts !

À notre connaissance, à part cette histoire de genou, il se porte très bien.

Il a dit :

— Ma belle-mère est décédé cet hiver à l’âge de cent-cinq ans. J’avais demandé son espérance de vie à l’IA. Elle ne s’est trompée que de quelques semaines.

Nous avons continué sur ce ton, en grignotant des macarons de chez Stohrer. Il faut reconnaître qu’on ne s’ennuie pas à l’écouter, nous apprécions ses points de vue originaux, lucides et cependant bienveillants sur notre immeuble et ses occupants. Il vérifie les comptes de la copropriété avec un calme et une efficacité précieuse.

C’est presque avec tendresse, qu’en le raccompagnant sur le palier, je lui ai dit :

— Au revoir, monsieur Vallois. À bientôt.