Vide ou pleine, ce n’est pas la même maison.
Certaines pièces deviennent inaccessibles, des chaussures jonchent le sol de la cuisine à côté de la porte d’entrée, papiers d’identité, porte-feuilles, smartphones, clés de voiture encombrent les meubles. Deux fois par jour, la cuisine tourne au chantier avec épluchages, plats et casseroles dans l’évier.
Heureusement, en été la plupart du temps et c’était le cas cette semaine, nous prenons nos repas dans le jardin. Mais le problème, c’est le parasol. Il y a toujours une tête au soleil. On se pousse on s’arrange. De bons moments, on discute, on raconte des anecdotes, on plaisante, contents de se retrouver. Le soir, le salon paraît soudain trop petit.
Puis, un jour, en général après le café, les coffres bourrés, on s’embrasse et les voitures s’éloignent avec de grands gestes d’adieux. C’est alors que la maison change du tout au tout. Le silence la recouvre à nouveau. Une fois les draps dans la salle de bains, les lits refaits, les portes et les fenêtres s’ouvrent, l’espace s’agrandit.
Les enfants nous disent :
— Après notre départ, ça doit faire un vide !
S’ils savaient ! On entend de nouveau respirer la maison, souffler le vent dans les velux, gratouiller les petites bêtes dans le jardin. Tout un petit monde qui retrouve sa place, nous consolant de les voir partir.
D’ailleurs, hier soir, vers 23 h, une nuée de fourmis volantes a soudain envahi le salon. Par centaines elles se sont accrochées aux rideaux, ont obscurci les fenêtres. On s’est battu pour les chasser. Le matin, elles avaient toutes disparu. Il faut croire que la reine était partie et qu’elles sont allées établir leur colonie chez les voisins.
Non, l’aventure ne se termine pas avec le départ des enfants. Ce matin, un énorme insecte de près de dix centimètres avec des antennes plus longues encore longeait le mur près du portail.
— Un capricorne ! s’est écrié Gilles.
Les capricornes, la terreur des vieilles maisons ! Ils grignotent les poutres même les plus grosses en un rien de temps transformant l’intérieur en une sorte de gruyère fragile rempli de farine de bois.
Le voilà qui grimpe sur le mur en direction du toit. Gilles le prend de vitesse, le rejette au sol. Le temps que je ferme les yeux, il l’avait écrasé sans état d’âme.
Nous nous sommes précipités sur Wikipédia. Oui, un des plus gros insectes d’Europe ! C’était bien un capricorne, mais un capricorne des chênes, totalement inoffensif, une espèce particulièrement rare et protégée. Imaginez nos regrets. Dorénavant, nous n’écraserons plus les petites bêtes que le Bon Dieu nous a offertes, sans une enquête préalable.
À propos de smartphone, durant son séjour notre petit-fils Marius, 16 ans, n’eut de cesse de nous convaincre de l’immense progrès que cet instrument de communication représente pour l’humanité. Il se heurtait de mon côté à un scepticisme qui l’indignait.
Or il se trouve que le 14 juillet il nous a entraînés sur le Jura pour aller admirer les feux d’artifice dans la plaine. La montée dans la nuit et les nombreux feux au pied de la montagne, la couronne lumineuse le long de la partie savoyarde du Léman sont un spectacle assez étonnant. Nous les avons laissés grimper jusqu’à la lisière de la forêt et nous avons attendu allongés dans l’herbe. Les foins ondulaient dans le vent comme des vagues, avec un léger et doux murmure comme une respiration. On entendait au loin les cloches des vaches et les claquements du feu de Divonne. Le scintillement des étoiles traversait un ciel un peu voilé ajoutant au mystère de la nuit.
Après nous avoir retrouvés, ravis du spectacle, ils sont redescendus à toute vitesse. Quand nous les avons rejoints à la voiture, Marius paraissait catastrophé.
Il avait posé son smartphone sur le bord du coffre. En refermant celui-ci dans l’obscurité, il l’avait écrasé, « éclaté », comme il nous le dit sur un ton navré, tempéré par la volonté d’affronter la situation.
Impossible d’imaginer Marius sans son smartphone ! Nous avons compati. Il l’avait payé fort cher et les circonstances l’empêchaient de transférer la carte Sim dans un vieux téléphone.
Je dois avouer que je n’étais pas fâchée de le voir contraint de s’en priver pour un moment, mais naturellement, je n’eus pas la cruauté de le manifester.
La privation fut de courte durée. Dès le lendemain matin, un réparateur du centre commercial voisin l’avait remis à neuf. Pour une somme non négligeable ! Seule la couleur du liseré extérieur avait changé. Elle était passée du gris au rouge clair, comme me le montra son propriétaire.
Ouf !
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