Comme le temps passe vite ! Les semaines défilent. S’il ralentissait, je pourrais davantage en profiter. J’entends parfois dire qu’à un certain âge on trouve le temps long, mais qu’alors on voudrait en finir. En attendant, nous avons vécu une semaine agitée.
A Lozère, chez les VDH. Trois couples. Moyenne d’âge : 85 ans. On a essayé d’éviter de parler de nos santés. On évoquait enfants et petits-enfants, mais les conversations revenaient inexorablement sur les prises en charge par les urgences, les médecins, les hôpitaux, comme si c’était désormais notre champ d’aventures et d’observation. Il est vrai qu’il y a beaucoup à en dire, et du lourd, comme on dit aujourd’hui ! Malgré la pluie qui n’a pas cessé de tomber, mon regard était aspiré par le jardin, le mimosa, les pâquerettes, les crocus, les jonquilles qui piquetaient de couleurs vives un gazon très vert cette année. Mon regard fuyait nos visages fatigués, nos dents jaunies, nos cheveux clairsemés. Qu’il est loin le temps de nos trente ans, de nos pique-niques, de nos promenades, de nos baignades, le temps des bébés, des enfants, de nos adolescents ! Nos enfants ont désormais les cheveux blancs. Bernard et Simone ne voient guère leurs arrière-petits-enfants. Autour de nous, les maladies et les deuils s’accumulent. ll paraît que c’est la vie !
Qu’est-ce qui m’a pris ? Peut-être par réaction, j’ai proposé pour notre rencontre avec Philippe, le frère de Gilles, et Catherine son épouse, d’aller dîner aux Pâtes vivantes des Halles. Un restaurant chinois où l’on fabrique les nouilles sur place. Elles sont malaxées, tapées, étirées devant nous et cuites dans la foulée. Il a une très bonne cote dans les guides et nous changeait de nos restaurants habituels. Nous n’y étions pas allés depuis de très nombreuses années. On avait oublié ! Moyenne d’âge, 22-25 ans, salle bondée, vacarme, cris, rires, des portions à vous couper la faim pendant une semaine. Plutôt habitués des cuisines fines et d’une courtoisie un peu compassée, nous étions passés d’un extrême à l’autre. Nous avons avalé nos nouilles et continué la soirée à l’appartement autour d’un reste de cerises à l’eau-de-vie.
Ils nous ont raconté leurs voyages. Ils revenaient d’Afrique du Sud, ils partaient pour la Tunisie et projetaient d’aller sur les traces de la famille de Catherine à l’île de la Réunion. Philippe et Catherine ne sont plus très jeunes, mais ils veulent profiter au maximum d’une santé à peu près satisfaisante. Pour ma part, la seule idée des heures d’avion vers ces destinations lointaines m’arrête. Je me contente des souvenirs de nos voyages anciens. Chaque âge a ses plaisirs.
Dimanche soir, nous avons traversé le quartier des Halles bondé, pour aller voir sur les conseils d’Émilie un spectacle dont nous ignorions tout. Sur l’esplanade du centre Pompidou, un bonhomme, cape et chapeau, jouait du trombone. À chaque souffle des flammes surgissaient de son cornet. Des enfants lui tournaient autour.
La salle était comble. Quelques difficultés à caser les jambes de Gilles, mais Michèle nous avait gardé des places. Spectacle étrange. Seule en scène, une jeune femme a déclamé et illustré des poésies de Johan Rictus sur la misère des ouvriers au début du XXe siècle. Elle fut un enfant pauvre persécuté à l’école, une petite fille protégeant son petit frère de la violence paternelle, un amoureux sur les fortifs, une mère devant le carré des guillotinés. Un mélange d’horreurs et d’innocence, une poésie, une solidarité sur un terreau de misère dans la langue populaire de l’époque, imagée et efficace, joués avec une conviction qui allait droit au cœur.
Pis v’là des z’éclairs, des z’orages
Et d’la puï’ qui tombe à siaux,
Rapport à d’gros salauds d’nuages
Qu’ont pas pitié d’mes godillots
(La Journée, dans Le Soliloque des pauvres.)
Des octosyllabes rythmés et rimés dont jouait l’actrice avec une souplesse qui humanisait les terribles propos.
Quand, à la fin, nous nous sommes levés, ma voisine de derrière cachait son visage dans ses mains, des larmes accrochées à ses cils. Son jeune compagnon, un peu perdu, ne savait comment la consoler
Nous avons fini la soirée dans le bistrot d’à côté avec Michèle. Conversations autour du théâtre et du travail d’acteur. Un geste maladroit et son verre de vin a éclaboussé le voisinage, dont ma veste et son pull blancs. Le garçon a essayé comme il pouvait de réparer les dégâts. Une soirée épique !
Vivement le printemps !
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