La semaine dernière, je rentrais de l’atelier plutôt fatiguée. On n’est pas autorisé à prendre le métro après 16 h, pour laisser la place aux travailleurs munis d’attestations. J’avais du me dépêcher et la fermeture de beaucoup de stations m’oblige à des détours et des marches à pied interminables.
À la sortie Louvre-Rivoli, la circulation des autobus était interrompue. Des policiers s’agitaient sous le soleil afin d’empêcher les voitures de s’introduire dans la rue du Louvre, mais la rue de Rivoli seul dégagement possible était impraticable, réservée aux seuls taxis, autobus et bicyclettes depuis le début du confinement. Il en résultait un sac de nœuds, des klaxons et de l’énervement. Habituée aux embarras de Paris, je ne me tracassais pas outre mesure et je remontais la rue du Louvre. Cependant, plus j’avançais, plus elle s’encombrait. J’arrivais devant la Bourse du commerce, en chantier comme la Grande Poste sa voisine : deux bâtiments en rénovation destinés l’un à un musée d’art contemporain, l’autre à une sorte de multiplex dont le projet avait provoqué des pétitions pour la protection de son architecture exceptionnelle. Passée la place des Deux Écus, des soldats en treillis, mitraillettes en bandoulière et béret sur la tête fermaient le passage.
Ils m’annoncèrent qu’il y avait le feu dans le chantier de la Grande Poste. Impossible de continuer, même à pied, à cause d’un risque d’explosion. Grand Dieu ! Je bifurquai vers la Banque de France, mais la rue du Coq Héron était également gardée par des militaires. Je me glissai rue de la Vrillière pour atteindre la place des Victoires par l’ouest. j’arrivais enfin à l’entrée de la rue Étienne Marcel, laquelle était fermée par un ruban de plastique rouge et blanc. On voyait au bout de la Grande Poste, du côté de la rue Montorgueil, une énorme flamme surgir du rez-de-chaussée. Elle était combattue par des jets d’eau qui s’élevaient jusqu’au troisième étage en panaches impressionnants. Plus d’une centaine d’ouvriers masqués, casqués de jaunes, gilets fluo étaient groupés devant chez nous dans le respect des distances de sécurité. Un policier interdisait le passage. Je lui montrai l’immeuble afin qu’il me laisse passer. Il me dit que ce n’était pas possible et qu’il valait mieux que je parte. Il s’agissait d’une fuite de gaz.
Je téléphonai à Gilles, qui m’avait laissé un message. Il apparut à la fenêtre, je lui fis des signes et je le montrai au policier.
– Vous voyez bien que j’habite là. Regardez, c’est mon mari !
– Il ferait mieux de rentrer dans l’appartement. Si ça explose, il risque d’être blessé par les vitres.
Ce que je lui transmis. J’ajoutai que j’allais attendre que tout s’apaise dans l’église Notre-Dame des Victoires. Il s’éclipsa.
Rue du Vide-Gousset, une des plus petites de Paris, je fus hélée par une voisine tranquillement assise à une terrasse de café improvisée sur la chaussée en raison des règles sanitaires qui accompagnent le déconfinement. Elle non plus n’avait pas eu le droit de retourner chez elle.
Dans l’église, après m’être désinfecté les mains avec le gel hydroalcoolique à disposition sur une table, je me suis installée sur un banc dont les distanciations étaient matérialisées par du papier collant
À ce moment, mon téléphone sonna. Gilles me demandait des nouvelles. Comme je lui racontais les propos du policier, une religieuse s’approcha. Je ne l’avais pas vue arriver. De son visage masqué, seuls émergeaient un front et des yeux décolorés par l’âge. Dans le silence de la nef, recouverte de sa robe de bure, le voile lui cachant les cheveux, elle me fit penser à un fantôme. Du doigt, elle désigna mon téléphone.
Je chuchotai aussitôt :
– Excusez-moi, ma sœur. Il y a un incendie dans le quartier et je voulais rassurer mon mari.
Rien n’indiqua qu’elle connaissait l’existence du sinistre. J’ajoutai, un rien tartuffe :
– J’espère que le Bon Dieu nous protègera !
Elle approuva d’un hochement de tête et s’éloigna comme une ombre.
Je suis restée une demi-heure à méditer, à regarder les quelques personnes qui priaient dans la pénombre, à écouter la rumeur étouffée de la ville. Il faisait frais, j’étais bien.
À la sortie, on ne voyait plus rien d’anormal, sauf les ouvriers, maintenant assis sur le sol. Un voisin a décroché son vélo d’un lampadaire et nous sommes entrés tous les deux sous le porche avec l’autorisation du policier. À l’arrivée, Gilles était au fond de l’appartement, les fenêtres sur la rue grandes ouvertes. Il me dit :
– Une habitude durant la guerre, pour éviter que les bombardements ne soufflent les vitres…
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