Les obsèques de mon frère Jean ont eu lieu à Pontoise dans la cathédrale Saint-Maclou, église qui a vu quantités d’événements familiaux, baptêmes, mariages, et désormais hélas trop d’enterrements. Nous avions retrouvé Yves, gare Saint-Lazare. Par la vitre du train, j’ai vu défiler les paysages et les gares qui ont accompagné les allers et retours de ma vie d’étudiante. À la sortie, place de la Gare, la ville et son église perchée au bout de la rue Thiers nous ont accueillis comme de vieilles connaissances. Chaque maison m’évoquait une famille, une personne, une anecdote. Nous avons traversé la rue Pierre Butin qui longeait notre maison. Elle me paraît aujourd’hui bien étroite ! Dans mon enfance, elle absorbait dans un vacarme que nous n’entendions plus le trafic de Paris à Rouen, voitures et camions pétaradants. Par cette rue désormais calme sont passés les énormes chars américains Sherman en 45. Les trottoirs en sont restés longtemps défoncés une fois la guerre terminée. Une rue vivante où tout le monde se connaissait.
Nous sommes arrivés avant le fourgon mortuaire. Le cercueil est entré dans la cathédrale suivi d’une dizaine de porte-drapeaux. Les étendards aux couleurs vives bordés de franges dorées éclairaient l’obscurité de ce jour pluvieux et maussade. Le cercueil sur les tréteaux fut recouvert d’un grand drap bleu, blanc, rouge. Mon frère Jean avait droit aux honneurs militaires. Sa décoration était posée sur un coussin de velours. Qu’en aurait-il pensé lui qui ne parlait jamais de cette période de sa vie, lui qui n’utilisait jamais l’euphémisme des « événements » d’Algérie, mais le mot de guerre, et qui comme beaucoup d’autres n’a jamais pu en décrire les horreurs ? Il fut de ceux qui n’en revinrent pas intacts.
Les frères évoquèrent son caractère parfois volcanique, leur enfance, des épisodes partagés de leur vie professionnelle en termes affectueux et souvent drôles, Christine parla de son père avec une justesse émouvante. Le prêtre mena la cérémonie avec une humanité exceptionnelle. Il avait compris la douleur d’une existence secouée par un effroi jamais tout à fait dépassé. Il sut aussi rassembler dans cette vaste et antique nef les croyants et les incroyants par des gestes simples et fraternels. Le dernier adieu se fit sans goupillon, à cause de la Covid. Chacun lança un petit signe à sa façon, sans toucher le cercueil.
C’est bouleversée que je me suis trouvée devant la dépouille de mon frère. Je l’imaginais souriant, ému, un peu ironique. La forme de la boite me laissait pour un dernier instant l’imaginer vivant.
Après les congratulations au fond de l’église, et pendant que les plus proches allaient au crématorium, petit comité oblige, nous nous sommes retrouvés autour d’un buffet dans la maison familiale, désormais occupée par Marc et plusieurs cabinets d’avocats. Ce furent des moments confiants, bien que contraints par les gestes barrière du Covid. Nous avons dégusté les délicieux petits cannelés de Dominique, le traditionnel gâteau au chocolat de Catherine, en demandant des nouvelles des uns et des autres.
Nous avons savouré le plaisir de voir les enfants, les petits-enfants de Jean, de l’évoquer avec humour, de se souvenir des moments aujourd’hui enfuis qui nous réunissaient si nombreux dans cette grande maison. Nous avons attendu ceux qui étaient allés au funérarium pour sabrer le champagne. Bonheur de se retrouver, tristesse à la pensée de ceux qui n’étaient plus là.
Mais il fallut partir assez vite pour ne pas se heurter aux foules qui rentraient avant le couvre-feu de 20 heures et nous avons sauté dans le train. La gare Saint-Lazare vibrait comme d’habitude de ses voyageurs pressés. La vie continuait. Nous sommes bien peu de chose !
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