La météo étant exécrable, j’avais téléphoné à Claudine et Philippe pour leur dire qu’ils pouvaient éventuellement remettre leur séjour, s’ils craignaient le froid et la pluie, s’ils craignaient de ne pas voir les montagnes et de contempler tristement un lac gris et maussade. Courageux et optimistes, ils ont tout de même débarqué du car en provenance de Paris. Il est vrai qu’en matière d’adversité, ils s’y connaissaient : cet été le feu avait épargné in extremis leur maison de Grimaud, dans le Var, grâce à un retournement de vent miraculeux.
Et finalement, le ciel s’est éclairci. Quelques gouttes de pluie, pas grand-chose à leur arrivée, rien du tout en allant au Musée de l’Hermitage à Lausanne. De nouveau trois petites gouttes pendant que nous dégustions des filets de féra au Chalet Suisse, bien connu des amateurs de spécialités vaudoises. Et puis, le soleil et même la chaleur se sont pointés le lendemain matin, honorant ainsi la fête prévue à la suite de la « manifestation » qui avait réuni les Touginois pour protester contre la suppression de plusieurs places de parking.
Chacun apportait un petit quelque chose, une bouteille, et c’est les mains chargées que nous nous sommes dirigés vers le petit square du bout de l’impasse. Autrefois, nous disions un peu pompeusement « le Parc » à cause de ses grands platanes et tilleuls centenaires, jamais élagués. Juste à cet instant, surprise ! monsieur le maire est sorti de sa voiture, en costume clair et cravate. Des annonces avaient été distribuées dans les boites à lettres, mais le maire n’avait pas été prévenu. À cause du Covid, on ne s’est pas serré la main. Il a glissé, comme s’il ne voulait pas s’imposer :
— J’ai été invité par un habitant !
On a su par la suite que Marcel lui avait laissé un message. Il lui avait répondu qu’entre deux cérémonies d’inauguration, il essaierait de faire un tour. Ce fut plus qu’un tour ! Il est resté une bonne heure, ravi de cette pause dans le vieux village qu’il avait contribué à améliorer. Il nous avait évité des constructions d’immeubles, il en fut abondamment remercié avant que ne surgissent les protestations à l’origine de la fête. Je lui ai demandé :
— Ce n’est pas trop pénible d’en recevoir plein la tête ?
Il a répondu dans un sourire à moitié convaincant :
— C’est tous les jours comme ça. On s’y fait !
Il aime sa ville, il aime ses administrés, il écoute, il est plutôt jeune et Philippe notre cousin, qui s’y connaît nous a dit en rentrant :
— J’ai été épaté par la qualité de votre maire !
Remarque dont nous avons été d’autant plus fiers que nous votons à Paris, ville particulièrement mal gérée !
Marcel, ancien conseiller municipal et donc ami du maire avait dressé un plateau sur deux tréteaux. Une table de jardin, de jolies nappes en papier de couleur, des chaises et des fauteuils, des bancs. Les plats et des verres disposés çà et là. Les anciens et les nouveaux, les Anglais, les Écossais, Adriana la Malgache, les deux Jacqueline les organisatrices. Le soleil dessinant des taches de lumière sous les grands arbres, on se serait cru dans un tableau de Renoir.
Imaginez les conversations des habitants du hameau dont beaucoup ne se connaissaient pas, la variété des propos, des accents (celui d’ici est tout à fait caractéristique), des métiers et des préoccupations. Ce fut un apéritif déjeunatoire de confiance et d’amitié. Nous les avons tout de même laissés pour monter à la Faucille et montrer aux cousins le panorama sur le lac et les Alpes. Hélas, les œufs étaient arrêtés depuis huit jours. Nous avons un peu marché sur les pistes de la station et nous sommes tranquillement redescendus dans la vallée.
Dans le square, une vingtaine de Touginois continuait de discuter, confortablement assis autour des tables.
Il fut suggéré par la suite de lancer une fête des voisins, comme dans beaucoup de villages et de quartiers. Les « manifestations » peuvent avoir du bon !
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