HENRI LE SIDANER | HELENE BAILLY
Nemours, Le Sidaner

Quelques jours plus tard, je vais rendre un livre à Jacqueline C, le livre de Douglas Kennedy que je lui avais emprunté, mais que je n’ai pas lu. J’ai trop avalé de romans depuis notre arrivée. Une fois démarrés, dès que je commence à en comprendre l’intrigue, je n’ai de cesse de savoir la suite et ça me prend la tête.

Je connais cet auteur, j’ai même signé à côté de lui au Salon du livre d’Evian. Intrigues à l’américaine, haletantes, épicées de sexe, baignées d’atmosphères urbaines suivies d’aventures dans des lieux sauvages et déserts, bourrées de personnages typés. Il vit à Paris ou à Londres, au fait des Européens friands d’américanisme. J’ai fini par prendre la décision de le rendre à Jacqueline comme on refuse d’entamer un pot de confiture, en m’excusant, en remerciant.

Nous en sommes venus à discuter des aboiements des chiens. Elle habite juste en face. Je lui ai raconté ma conversation avec Emmanuelle. Elle a sursauté :

— Mais, ce n’est pas Sacha qui aboie, c’est le chien de la voisine.

Un soir, je suis allée chez Emmanuelle pour m’excuser d’avoir soupçonné Sacha. Elle était au téléphone. Elle s’est interrompue une seconde et elle m’a dit, un peu énervée, comme on tourne la page :

— Ne vous en faites pas. Que ce soit l’un ou l’autre, ça n’a pas d’importance !

Et je suis repartie avec l’espoir que les deux chiens n’allaient pas désormais nous gratifier de concerts amicaux contre lesquels nous aurions mauvaise grâce de protester.

Comme les jours passaient, j’ai réalisé que les chiens n’aboyaient plus, ou seulement de temps en temps en quelques jappements brefs et rieurs. La tension dans l’impasse semble avoir disparu et Michelle, la boulangère, m’a glissé incidemment qu’elle avait parlé avec notre nouvelle voisine.

On entend encore de temps en temps des aboiements vers minuit, mais je me rendors. C’est le hérisson qui passe dans la rue.

J’en ai modelé un en terre cuite. Je me suis bien amusée en fixant les piquants.

Dimanche, nous sommes allés dans le Chablais. Nous avons pris Marie à Thonon et nous avons continué sur Evian, où nous avons déjeuné chez Pierre et Nicolle avec le lac pour horizon.  Les hirondelles volaient autour du clocher animant les toitures roses orangées de la ville. Jean-Marc nous a rejoints au café avec un délicieux gâteau de Savoie.

Nous sommes allés ensuite à l’exposition conjointe d’Henri Martin et du Sidaner. C’est ce dernier qui m’intéressait, il avait continué durant le 20e siècle une peinture de la réalité, à l’écart des inventions du cubisme, du surréalisme, de l’abstraction, peignant des tables de fin de repas dans sa maison et dans sa cour de Gerberoy. Il avait aménagé le rempart et ses terrasses successives en cascades de fleurs. Il se plaisait à en honorer ses amis. Le plaisir de recevoir et de peindre.  Sensible.

Au retour, nous nous sommes arrêtés à Thonon chez les parents de Jean-Marc. Quelle joie de les voir si vivants malgré leur grand âge ! Jean-Marc nous a montré deux grands tableaux de Vegetti, ses dernières acquisitions : Des Maisons dans l’eau et Le Glacier du Tour au-dessus du village. Deux grands paysages, inquiétants et puissants. Enrico Vegetti est contemporain des peintres que nous venions de voir.

J’ai connu Vegetti dans mon enfance à Nernier. Je l’ai évoqué dans La Petite fille du lac.

D’ailleurs le matin, j’y étais retournée. Un pèlerinage dans le passé confronté aux changements du présent. Mais c’est une autre histoire.

Les Maisons dans l’eau. Enrico Vegetti.