Juste avant de partir, je suis allée rendre à la bibliothèque du 2d arrondissement le roman sur Paris,  dessiné et écrit à la main par Dany Laferrière. Il préparait alors son discours de réception à l’Académie Française (au fauteuil de Montesquieu et d’Alexandre Dumas). Vivant à Montréal et à Miami, cet écrivain d’origine haïtienne s’était installé dans le quartier de la gare de l’Est pendant quelques mois pour s’imprégner de la vie locale. Il n’a pas dû y côtoyer beaucoup d’autochtones, mais il semble en avoir savouré la diversité. J’ai apprécié son regard neuf et généreux sur ma ville. Je l’ai lu de bout en bout, ce qui est méritoire, car écrit dans tous les sens, il se lit dans tous les sens.

Je me suis rappelé l’avoir salué d’un sourire à la réception qui clôtura le Salon de Genève de 2016. L’ayant  plusieurs fois entendu à la radio ou vu à la télévision, j’avais apprécié son langage structuré, son absence de prétention,  mais je n’avais rien lu de lui. C’est pourquoi malgré un évident intérêt réciproque, j’avais préféré ne pas insister. J’avais aimé son regard curieux et bienveillant, l’élégance de sa haute taille, une distance polie peut-être inhérente à sa situation d’intellectuel descendant d’esclaves devenus notables avant les horreurs de Duvallier.

A la lecture de cet Autoportrait de Paris, au dessin un peu naïf, au ton légèrement désuet à la mode de Woody Allen dans Midnight Paris, j’ai reconnu un regard familier, une complicité, une saveur un peu brouillonne qui s’apparentent à mes propres déambulations et j’ai regretté de n’avoir pas franchi à Genève une distance qui m’était tout de même restée sur l’estomac.

A la réflexion, c’est probablement mieux ainsi. Pourquoi chercher à rencontrer un auteur alors qu’il offre le meilleur de lui-même dans ses livres ? Ce n’est pas avec quelques phrases maladroites qu’on peut miraculeusement réactualiser un dialogue construit au fil des pages. Il en est des amitiés littéraires comme de beaucoup d’autres ; à distance, elles n’en sont pas moins réelles.