Pâques. Cette année, le 31 mars. Impression bizarre, comme une sorte de précipitation, comme si nous n’étions pas tout à fait prêts pour le printemps. Il a tellement plu depuis un mois ! On en a presque oublié le soleil. Et ce matin de Pâques, changement d’heure.
Il est midi. À deux immeubles de l’appartement, côté cour, des rodeurs de toitures se sont installés sur la terrasse arborée réaménagée durant l’hiver. Depuis ce matin, ils dansent au soleil au-dessus de Paris entre deux nuages. Ils semblent éméchés. Une soirée prolongée ? Peut-être, mais depuis que nous avons garni les fenêtres de doubles vitrages, nous n’entendons plus les cris et les musiques provenant de la cour durant la nuit. Ils en furent chassés vers15 heures par un déluge accompagné d’éclairs et de tonnerre.
Oui, Pâques ! Dimanche dernier, je suis allée à Saint-Eustache avec l’intention d’y retrouver Pierre. Il n’y était pas, j’avais oublié qu’ils étaient partis rejoindre leur fille à Montpellier. Mais à l’occasion des Rameaux, j’ai écouté l’évangile de la Passion. Lu par le prêtre avec ferveur et simplicité, le récit ancestral montait le long des piliers, s’envolait vers les hautes voûtes de l’église, les plus hautes de Paris. Les fidèles étaient plus nombreux que d’habitude, plus d’hommes surtout. Ils tenaient dans leurs mains des branches de buis achetées à l’entrée. Assis sur le banc à ma droite, un homme brun assez corpulent, mal rasé, une montagne de sacs à ses côtés, montrait un visage réjoui qui contrastait avec les horreurs du récit, du jugement de Pilate et de la crucifixion. Avec un sourire, il me salua d’un mot que je n’ai pas compris. Je lui ai rendu son salut en indiquant qu’il valait mieux ne pas parler. Un clochard ? Plutôt un étranger.
À la quête, il déposa un billet dans la sébile et se tourna vers moi pour montrer sa coopération. En effet, les bagages ornés d’étiquettes d’aéroport, bien que mal ficelés, étaient de bonne facture.
De ce fait, j’ai retrouvé durant les jours qui suivirent cette impression oubliée de semaine sainte, lourde de symboles, celle qui passe de la liesse des Rameaux au repas des disciples, à la mort du Christ et à sa résurrection.
Elle a correspondu au festival des Dionysies auquel Gilles participait. Il jouait Tirésias dans Les Bacchantes.
Hubert venu de Rouen jouait le roi de Thèbes. Il a dormi chez nous et nous avons passé de bons moments à rire, à évoquer la troupe de Démodocos, leurs aventures théâtrales.
Grand, mince, yeux bleus clairs, cheveux argentés et bouclés, optimiste, Hubert a toujours vécu avec intensité. Atteint vers 50 ans d’une maladie auto-immune invalidante, il a démarré, puis obtenu deux licences, une de philosophie, une autre de lettres modernes, avant de se joindre à la troupe de Démodocos.
Le lendemain, il nous a invités à déjeuner dans un restaurant de la place des Petits Pères. Les fidèles de l’église Notre-Dame des Victoires sortaient de l’office du Vendredi Saint. Comme je lui avais expliqué que c’était une basilique, une église votive, il a dit à la fin du repas :
— Et si on y entrait ?
Nous nous sommes glissés dans la pénombre. On distinguait à peine les ex-voto, les plaques de marbres sur les murs, les milliers de remerciements à la Vierge Marie. Il régnait dans la grande nef une atmosphère de fin du monde. En signe de deuil les cloches ne sonnaient plus et les milliers de cierges qui éclairaient d’habitude la basilique d’une lumière mouvante étaient éteints.
Nous avons longé la nef par le bas-côté. Des ombres étaient assises sur les bancs de bois, d’autres agenouillées. Le silence régnait. Une ferveur primitive émanait des ex-voto, de ces gens à peine aperçus, de cette absence des bougies.
Je me suis écartée, prise par l’émotion. Gilles de son côté avait préféré s’éclipser. Quand nous nous sommes retrouvés, une question suspendue se lisait sur le visage d’Hubert, accompagnée d’un léger sourire. Un voeu ?
Ce même soir en rentrant de l’atelier, sur le quai du métro de La Motte-Piquet, j’ai entendu un usager alpaguer son voisin :
— C’est Vendredi Saint, le mal existe. Satan existe, c’est ce que dit Jésus.
L’autre, éludant ce satanisme militant et provocateur, s’est contenté de répondre :
— Oui, tout ne va pas bien, il suffit de voir l’état de nos forêts.
Pour ma part, j’ai repensé au sourire d’Hubert.
Julien, Laure et Thomas sont venus déjeuner le lundi de Pâques et Gilles a réussi la cuisson de son gigot…
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