Retraites : la réforme est validée en partie par le Conseil constitutionnel  - Elle

Qu’est-ce que l’histoire gardera du passage difficile de la retraite à 64 ans ? On travaille partout de plus en plus longtemps, et dans certains pays comme en Espagne jusqu’à 66 ans. Le monde entier s’étonne de la réaction violente des Français.

Ce message de Sally, depuis San Francisco :

Alors Martine qu’est-ce qui se passe en France ? C’est un peu incroyable de voir tout ça quand ce n’est qu’une histoire de travailler un ou deux ans de plus. (Ici l’âge de la retraite est 65 et on en est content mieux qu’il y aura pas de retraite du tout.) On pense à vous — Bonne chance en tout cas…

Les manifestations ont réuni des millions de personnes durant plusieurs mois. Les syndicats ont fait front contre cette réforme. Les secteurs de pénibilité n’auraient pas suffisament été pris en compte, mais les plus virulents sont parfois les plus privilégiés, comme dans les rafineries.

Beaucoup de confusion, de commentaires invérifiables. Une communication inexistante. Beaucoup de bruit.

Vendredi, je revenais de l’atelier dans un métro bondé. Sans ménagement, une grande et lourde touriste monte à la station Concorde. Assurée de son bon droit, elle m’envoie un énorme bagage à bretelle dans la figure. Je la repousse avec vigueur sous les regards approbateurs des travailleurs compressés.

Une jeune femme me fait la place et me dit

— Vous croyez que ça va bouger demain ?

Je lui réponds :

— Mais non ! Et puis, de toute façon, on a l’habitude.

Je comprends soudain la question :

— Le résultat ?

J’avais oublié ! Quelques minutes plus tôt, le Conseil Constitutionnel avait tranché sur la validité de la loi passée grâce au 49-3. Elle me répond :

— Acceptée !

Sur le coup, j’ai du mal à réaliser. Elle ajoute :

— Référendum refusé !

Aucune réaction visible dans le métro. Fatigue ? Fatalisme ? Quant à soi ?

J’arrive à la station, je la salue :

— Merci pour les nouvelles !

Quand j’ai déboulé sur le trottoir, d’innombrables cars de CRS bordaient les rues jusqu’à la place des Victoires. Les autobus ne roulaient pas. Sous surveillance policière depuis plus de quinze jours, le Conseil Constitutionnel était isolé par un périmètre de sécurité depuis le matin. Le jardin du Palais-Royal fermé.

Le soir à la télévision, les syndicats demandèrent au président de ne pas promulguer la loi, ce qu’il s’empressa de faire dans les heures qui suivirent. Il n’y eut pas de débordements importants dans l’immédiat, mais j’ai compris pourquoi à six heures les rues avaient été bloquées autour de mon atelier pendant qu’une équipe de déminage s’activait sur l’avenue de Suffren.

— Une voiture suspecte ! m’a expliqué le policier en me faisant passer sous les rubans délimitant la zone.

Paris joue à se faire peur. On est bien loin des horreurs de la guerre en Ukraine ou même des attentats terroristes de ces dernières années ! Du moins pour le moment…

Le lendemain, j’étais dans la ligne 4 et une fois de plus des touristes étrangers inquiets jouaient des coudes sans égard pour les usagers. Une femme demande à sa petite fille de me laisser son strapontin. Je me trouve donc au niveau de l’enfant et je lui dis :

— Merci. Paris c’est un peu fatigant !

Sa mère me répond :

— Nous on n’est pas fatiguées, on a pris le métro à Montparnasse. On vient de Bretagne.

— D’où ?

— De Lannion !

— Quelle chance vous avez !

On partage quelques souvenirs et la petite fille se détend.

À ce moment, la femme assise à côté de moi me dit :

— Vous habitez Paris ?

— Oui. Et vous ?

— Concarneau, dit-elle avec un fort accent africain.

— C’est dur de vivre à Paris ? ajoute-t-elle avec une certaine pitié.

— Ce n’est pas toujours facile, mais on ne s’ennuie jamais ! Comme maintenant.

— Je viens souvent à Paris chez ma sœur, mais c’est la première fois que je parle à quelqu’un, dit la mère.

L’autre approuve. Je blague :

— Moi, je parle à tout le monde, mais il faut que je descende.

Au moment de me laisser entraîner par le flot de la sortie, je lance :

— Salut les Bretonnes ! Au revoir !