Quelques jours de soleil ! Les habitants de Paris sont partis pour profiter du grand pont de l’Ascension. Les touristes inondent le centre de la ville. Qu’en retiendront-ils ? Regarderont-ils leurs photos au retour ? Ils ont l’air joyeux, ravis de l’aventure. Étrange spectacle que tous ces gens venus du monde entier, sortis de leur ville, de leur village, de leur maison, de leur chambre à coucher pour faire des selfies en tournant le dos à la pyramide du Louvre.
Arrivée de la flamme olympique à Marseille sur le Belem, un des plus anciens trois-mâts d’Europe. Dans les années 80, après bien des vicissitudes, ce navire est resté à quai devant la Tour Eiffel, démâté, silhouette incongrue, familière du paysage parisien. Il paraissait plutôt petit et ce fut une surprise, lorsque, pris en charge par une association, il retrouva ses mâts, ses voiles, et sa superbe.
L’arrivée de la flamme fut accueillie à Marseille par une myriade de bateaux, une foule énorme pressée sur les falaises environnantes, dans les hauteurs de la ville, sur les quais, survolée par la patrouille de France, suivie par un concert de rap, un feu d’artifice avec images de drones. Je m’étonne toujours de l’organisation de tels événements, comme d’un miracle. Les êtres humains sont capables de se réunir par milliers, par millions. Déjà à Rome, le Colisée pouvait contenir 50 000 à 80 000 spectateurs.
Pour ma part, j’ai toujours craint les mouvements de foule, de ne pas pouvoir m’échapper. Je supporte mal de devoir obéir aux injonctions. Un fond d’agoraphobie ? Je me reproche parfois de ne pas participer à ces liesses populaires. La télévision me permet d’y jeter un œil, de prendre un livre ou d’aller me coucher. J’ai du mal à communier avec une foule, loin de ressentir l’euphorie générale, je m’inquiète de sa versatilité.
D’ailleurs, le temps passant, je me sens de moins en moins encline aux émotions et aux devoirs. C’est ainsi que je me suis rendue à reculons dans l’Ehpad de Micheline. Depuis plusieurs semaines, nos activités avaient un peu trop tourné autour de l’exil et de la mort.
J’ai connu Micheline aux Beaux-Arts de Paris lorsque nous étions étudiantes. Son mari Max était dans le même atelier de sculpture que moi. Nous nous sommes suivis durant toute notre existence. Olivia m’avait écrit qu’elle allait chanter dans la maison de retraite de sa mère avec son mari Laurent, et que leurs filles seraient présentes. De la chanson, de la jeunesse !
Dans cette famille, on a toujours chanté. Enfant, notre fille Ève revenait émerveillée des trajets en voiture avec eux. Et je savais plus ou moins qu’à sa retraite de commissaire de police, Laurent, bon guitariste, avait poussé Olivia à chanter, qu’ils avaient formé un groupe avec des amis et jouaient parfois en public.
Nous avons retrouvé Virginie à l’entrée. Très active auprès de leur mère, elle a installé les chaises dans un salon avec verrière sur un jardin fleuri.
Il a suffi de quelques notes de guitare pour que la voix d’Olivia s’envole, légère, juste, rythmée, d’abord sans micro, puis un peu amplifiée, transportant avec elle un surprenant souffle de vie.
Venant de loin, ils n’avaient pas pu transporter leur matériel acoustique. Au début, c’était même un mince filet de voix, mais j’en fus saisie, comme si un air frais me caressait les oreilles. La blonde et généreuse Olivia proposa en souriant des chansons variées qui se déroulèrent devant une trentaine de pensionnaires et leurs familles comme une promenade dans le temps. Parfois lentes, parfois primesautières, parfois tendres, parfois tristes, avec une voix rare, à la fois grave et cristalline, aérienne.
Parfois jazzy, comme dans Les Feuilles mortes :
Oh, je voudrais tant que tu te souviennes
Des jours heureux où nous étions amis
En ce temps-là, la vie était plus belle
Et le soleil plus brûlant qu’aujourd’hui…
Ou bien :
Aux Champs-Élysées, aux Champs-Élysées,
Au soleil, sous la pluie, A midi ou à minuit
Il y a tout ce que vous voulez
Aux Champs-Élysées…
Autour de nous, les têtes se sont redressées, les propos amers se sont transformés en chanson.
Quand le silence est revenu, il n’était plus tout à fait pareil.
Des gâteaux et du prosecco furent proposés par les petites filles de Micheline rayonnantes de jeunesse.
Et Laurent m’a dit :
— Oui, nos chansons sont parfois un peu tristes, mais nous ne pouvions tout de même pas chanter Le Zizi de Pierre Perret.
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