Vendredi, nous sommes allés à l’Athénée où se jouait Haru un opéra, dont le livret est écrit par Joël Bastard. J’ai déjà évoqué Joël dans ces chroniques. Nous l’avons connu à Ferney-Voltaire, il avait une quinzaine d’années, nous en avions 30. Un adolescent un peu sauvage. La famille, son père, breton, sa mère corse et ses trois sœurs, habitait l’appartement au-dessus du nôtre. Une famille qui ne manquait pas de caractère. Son père après avoir bourlingué sur toutes les mers du monde avait jeté l’ancre au CERN.
Aujourd’hui, édité par Gallimard, Joël fut nommé parrain du Printemps des poètes en 2020. J’ai raconté dans ces lignes une soirée au Bataclan. C’était juste avant le confinement, cinq ans après l’attentat qui fit de nombreuses victime. A cette occasion, la comédienne Sandrine Bonnaire y avait lu ses poèmes.
Ce vendredi, l’opéra, un one woman show, racontait l’errance d’une femme après un désastre. Accompagnée d’une musique à la fois précise et envoûtante, la chanteuse, à la fois comédienne et acrobate évoquait la condition humaine, les questions que pose le monde actuel au gré d’objets émergeant des ruines. Romie Estève, que nous avions déjà vue dans un spectacle sur Mozart, exceptionnelle de vitalité jouait sur tous les registres. Artiste lyrique reconnue et accomplie, la souplesse et la beauté de son corps dansait dans un échafaudage sur toute la hauteur de la scène. En sortant, j’ai dit à Joël :
— Spectacle difficile, mais attachant autant par la musique que par l’histoire. Mais j’ai trouvé la femme trop belle pour subir un sort aussi funeste et ça, je n’ai pas aimé.
Il a ri, car il venait d’entendre le même propos à la sortie. Oui, une fois encore l’actrice avait trop donné d’elle-même. Une tendance actuelle.
J’ai sauté sur un autre sujet :
— Et qu’est-ce que tu penses de la polémique autour de Sylvain Tesson ?
Une tribune dans le journal Libération signée par plus de 1000 « acteurs de la culture » s’en était prise à la nomination de l’écrivain pour parrainer le Printemps des poètes 2024. J’ai ajouté en riant :
— Je connais deux parrains des poètes, lui et toi !
Connaître est un bien grand mot (voir ma chronique de début janvier évoquant son spectacle sur Byron), mais dans ce contexte, la polémique fortement marquée par une opposition politique gauche-droite m’amusait. Tesson est vilipendé par les signataires comme une figure de l’extrême droite, or la poèsie de Joël est nettement marquée à gauche. Il m’a répondu :
— On m’a demandé de la signer et j’ai refusé. Tesson n’y est pour rien, c’est l’affaire de ceux qui l’ont nommé. Et puis, c’est une forme de censure que je juge insupportable.
Après avoir un peu tourné autour du sujet, nous sommes tombés d’accord sur le fait que le monde actuel est devenu inquisitorial. Les polémiques ont toujours existé, Madame Bovary fut censurée à sa sortie, les critiques littéraires ont été plus virulentes qu’aujourd’hui, mais il faut reconnaître que désormais n’importe qui peut s’exprimer sur Internet et c’est la société tout entière qui s’érige en tribunal sans vraiment y connaître grand-chose et s’acharne sur tout ce qui n’est pas conforme à des visions préétablies et sans nuances.
La première victime de la situation est la liberté de penser. On accuse, en réaction l’autocensure devient la norme.
On peut penser ce qu’on veut de Sylvain Tesson, mais sa recherche du dépassement de soi, son attirance vers de fortes personnalités comme Byron, son lyrisme quant à la nature, son romantisme voyageur a le mérite de tirer vers le grand large une pensée que la gauche a tendance à brider avec une bonne conscience souvent douteuse.
Hier, la troupe s’est retrouvée autour d’Émilie. Je lui ai demandé des nouvelles du frère de son amie Stéphanie. J’avais entendu qu’il avait été affligé d’être considéré comme un écrivain d’extrême-droite. Elle n’avait pas eu d’écho, mais elle avait également jugé la tribune comme une intolérable atteinte à la liberté d’expression.
En fait, en creusant plus avant, on peut se demander si l’origine de la polémique n’était pas tout simplement une affaire de fonctionnement interne de l’organisation du Printemps des poètes et une affaire de subventions, comme souvent. En tous cas, un article documenté dans le journal Le Monde en avait détaillé d’obscurs rouages.
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