Un rayon de soleil et nous avons filé à Vevey pour aller au musée Jenisch voir une exposition sur les arbres.

La Riviera suisse nous a sidérés. Dans la sérénité du lac, le frou frou des aubes du gros bateau, la lumière de septembre, les démarches nonchalantes des touristes fortunés sur fond de montagnes tamisées par une légère brume, tout n’était que luxe, calme et volupté.

Nous avons déjeuné sur la place du port dans un restaurant familial entourés de vieilles dames discrètement papoteuses, de jeunes discutant en complets-veston et cravates. Sur la terrasse, une femme bronzée et sportive, chirurgie esthétique, cheveux blonds cendrés coulant sur la nuque, élégante, lunettes de soleil de prix rejetées sur le crâne travaillait sous les arbres en vidéo-conférence.

Par contraste, les tatouages sur les bras du serveur m’ont intriguée, un crucifix le long du cou. Je lui ai demandé s’il était Suisse, il m’a répondu gentiment :

— Je suis Français, ici tous les serveurs sont français, les Suisses ne veulent pas faire ce travail.

— Vous êtes d’où ? a demandé Gilles.

— De Nice.

— C’est un peu la même chose, la Riviera.

Il fit la moue, puis comme Gilles insistait, il a dit d’un air ravi :

— Ici c’est beaucoup mieux, … et puis ici les clients sont éduqués !

Après un instant d’hésitation, avec la crainte d’être indiscret, il a demandé :

— Et vous ?

— Nous habitons Paris.

Il a littéralement sauté sur place :

— Je ne pourrais jamais habiter Paris, j’en mourrai !

Je lui ai répondu en riant :

— Paris, c’est vivant ! Il y a des émeutes !

À une table de nous un homme d’une soixantaine d’années, cheveux blanc coupe un peu longue, intellectuelle feuilletait le Canard Enchaîné. Il a imperceptiblement manifesté qu’il avait entendu, mais réserve helvétique oblige, il n’a pas levé les yeux.

Le lendemain, nous avons sauté dans le car, puis le TGV, enfin dans le 29 et nous nous sommes retrouvés vers 23 heures dans l’appartement de Paris que nous avions quitté deux mois auparavant.

Les obsèques de Nicky avaient lieu le lendemain mardi à dix heures dans l’église Saint-Charles-de-Monceau.

L’église était bien remplie pour une fin de vacances. Nicky laissait quatre enfants et une quinzaine de petits-enfants qui tous s’exprimèrent sur leur père et grand-père dans des termes admiratifs et affectueux, évoquant son goût de la marche en montagne, de l’escalade à Fontainebleau, ses repas gastronomiques. Nous avons cru qu’il n’y aurait pas de messe, le prêtre étant invisible et l’autel dégarni. Rien d’étonnant, Nicky n’ayant jamais manifesté de penchant particulier pour la religion. Mais le prêtre s’est avancé. Il a récité la lettre de Paul aux Corinthiens : S’il me manque l’amour… et a embrayé sur l’homélie.

En vieil habitué, il a gentiment remis les pendules à l’heure, tempérant les louanges précédentes par la difficulté pour chacun de vivre et de mourir.

Les hommes de la famille ont tendu des sébiles dans les rangées, gros billets jusqu’au bord. On était dans le quartier de Monceau ! Et la messe s’est poursuivie. La plupart des fidèles ont communié. Puis nous avons été conviés à la bénédiction du corps.

Ce fut un choc. Son chapeau était posé sur le cercueil. Un chapeau aux larges bords, en cuir roux, qu’on lui avait toujours vu sur la tête. Les larmes me sont montées aux yeux.

On s’est ensuite retrouvés dans son appartement avec toute la famille, ces enfants que nous avions connus tout petits, puis parents et maintenant presque grands-parents. Que la vie est courte ! Que les destins sont étranges ! Réussites, échecs ? Les circonstances portaient à la modestie.

J’ai dit à Anne, l’ainée :

— Comme c’est étrange ! Nous ne reviendrons jamais dans cet appartement !

Et j’ai ajouté :

— Il est probable que je ne te reverrai jamais !

Elle m’a jeté un regard un peu désespéré. En effet, nos chemins divergeaient…

Le lendemain, nous sommes revenus à Tougin où la fête du quartier nous attendait sous les grands arbres du square. Contraste. Un savoureux bonheur que je ne vous décrirai pas par crainte d’être trop longue.