Samedi, alors que je savourais un café à la Pointe Saint-Eustache, une odeur de caoutchouc brûlé parvint à mes narines. Je me suis adressée à mes voisins, un groupe convivial et sympathique venu de province : « Ça sent le cramé, vous ne trouvez pas ? ». Un homme aux cheveux gris, me répondit aimablement : « Oui, c’est un incendie », « Une voiture ? », « Non un immeuble ». Bigre ! « … les pompiers sont prévenus ! » Le garçon de café vint prendre la commande et se mêla à la conversation : « En général, ils arrivent en moins de trois minutes ». Le provincial : « ils sont très forts ». Moi : « ils se font pourtant castagner dans les banlieues ». « C’est lamentable ! » répliqua-t-il avec une conviction d’honnête homme. Un camion de pompier a surgi de la rue de Turbigo, il a eu du mal à prendre le virage de la rue Montorgueil, bousculant les tables et les auvents de toile.
Un énorme nuage noir s’élevait dans le ciel. Je me suis postée en haut de l’escalier menant à la Canopée. Une femme s’est écriée : « il y a une femme au balcon du cinquième » et quelqu’un a ajouté : « et plusieurs personnes aux fenêtres du sixième ! ».
La grande échelle ébranla les guirlandes de Noël, un pompier y grimpa et pas à pas fit descendre une femme et deux enfants. Puis l’échelle a pivoté et s’est mise en position pour aller chercher les sinistrés de l’étage supérieur. La précision des gestes des pompiers avait quelque chose de surréaliste. Leur absence de précipitation imprimait à l’événement une étrange banalité. Quand je suis partie, j’ai croisé une équipe qui apportait un matériel de respiration artificielle.
J’avais remarqué debout en haut de l’escalier, un homme appuyé sur un grand bâton au bout duquel était entouré une sorte de drapeau rouge. Visage fermé, indifférent, il paraissait de fort méchante humeur.
De retour, j’ai entendu des cris au pied de notre immeuble. J’ai allumé la TV et j’ai appris que la huitième journée des gilets jaunes partait de l’Opéra pour se rendre à l’Hôtel de Ville. J’ai réalisé que l’homme de l’escalier était un membre du service d’ordre. Les provinciaux du café, ces retraités tellement heureux d’être ensemble, attendaient le passage du cortège pour s’y joindre, gilets probablement dans la poche. Avaient-ils conscience que leurs actions paralysaient le pays depuis deux mois avec son lot de violences, de destructions, de dépôts de bilan, sans compter sa dizaine de morts et ses nombreux blessés? On pouvait légitimement se poser la question et espérer que cet incendie trouverait des pompiers. Comme le feu s’entretient de lui-même, la violence engendre la violence.
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