Urgences à Genève

Arrivée de Grenoble le lundi à Tougin, nous avions longé le lac du Bourget en train, pris le car depuis Bellegarde. Je ne me souviens plus très bien de ce que nous avons fait durant la journée du mardi, mais je me souviens d’une agréable soirée au coin du feu. Je me souviens aussi d’avoir retrouvé Tougin avec plaisir, son calme, l’amitié de ses habitants. Tout se passait bien, je me réjouissais de plusieurs rencontres prévues. J’avais retrouvé mon piano et essayé la charmante fantaisie n° 3 de Mozart.

Nous étions chez Hilary qui nous avait préparé une soupe à sa façon. Jill et Tony, nos voisins communs sont arrivés. Tony venait de faire sauter un bouchon de champagne, lorsque j’ai ressenti un malaise. Le temps de vider une flûte, comme je l’écoutais parler d’une prochaine conférence au Mozambique, je me suis aperçue que je ne voyais plus le côté droit de son visage, un vide à la place de son œil. Sur le coup, je me suis dit que c’était une sorte de migraine ophtalmique, mais très vite je me suis mise à bafouiller. En quelques minutes, je suis devenue incapable de trouver mes mots.

Confuse, j’ai expliqué à mes amis ce qui m’arrivait et sans attendre, Hilary a pris la situation en main. Elle appelé le 15. Mise en communication avec un médecin, il m’a mitraillée de questions. Très vite, les pompiers sont arrivés. Ils m’ont transportée en urgence à l’hôpital cantonal de Genève. Nous n’avons pas d’hôpital dans le Pays de Gex, celui d’Annecy étant trop loin, seul l’hôpital cantonal possède un service d’urgence pour les AVC. Un arrangement européen permet aux frontaliers un remboursement de la Sécurité sociale.

Gilles m’a retrouvée au milieu d’une batterie d’examens.

C’est ainsi que j’ai passé quelques heures sur le plateau des AVC, un service étrange, avec une infirmière pour moi toute seule qui me demandait toutes les cinq minutes si je voyais ses mains bouger. Cardiologues, neurologues, analyses en urgence, échographie de toutes sortes. Étais-je angoissée ? Pas vraiment. Je me souviens que je me suis amusée parce que le médecin me désignait sa montre du doigt et que j’avais un mal fou à trouver son nom. J’ai pensé que pour un Suisse ce devait être grave. Il me fallait répéter une histoire de deux gros crapauds bien gras.

Finalement, vers une heure du matin, on m’a transférée dans un service aux espaces modulables par des cloisons roulantes. Les examens étaient plutôt rassurants, mais il fallait rester vingt-quatre heures pour faire un scanner et un IRM.

Dormir sous monitoring d’électrocardiogramme, ficelée de partout, avec un tuyau d’oxygène dans le nez n’a pas été aisé, surtout qu’on me réveillait toutes les heures pour savoir si j’étais encore en vie. Le matin, j’ai eu la surprise de voir la brume s’effacer sous le soleil et d’apercevoir par la vaste fenêtre un arbre aux feuilles dorées, un jardin à mes pieds, les montagnes au loin.

Vous dire la gentillesse, l’efficacité, la bienveillance qui m’ont entourée à chaque moment est au-delà des mots. Le personnel, les infirmières, les médecins, pour la plupart non suisses et pour beaucoup frontaliers avaient les mots, les gestes qui aident et rassurent.

Autour de moi, une personne avait perdu l’usage d’un pied, l’autre était en observation redoublée. C’était comme des tranches de vie, des histoires différentes, de tous les milieux sociaux, ouvriers ou banquiers, de tous les âges, et pour certains, c’était comme si le ciel leur tombait sur la tête.

Je n’entre pas dans les détails, mais il y aurait de quoi écrire des pages.

Finalement, après deux nuits, le corps médical (le professeur, l’interne, ma cardiologue de Paris au téléphone, les étudiants autour du lit) ont jugé qu’il s’agissait d’un AIT, accident ischémique transitoire et que je pouvais rentrer chez moi. Mon cœur battait la chamade en veux-tu en voilà, mais ce n’était pas grave, il était solide, un traitement allait le calmer. Bien sûr, je n’ai pas protesté, malgré le confort des lieux et la nourriture très correcte de cette auberge helvétique.

Par la suite, nous avons dû annuler les rencontres prévues, il fallait que je me repose. Nous sommes restés deux jours supplémentaires.

Ce fut malgré tout un bon séjour, tant d’amitiés m’ont entourée. Et puis, la montagne était si belle, rousse et dorée sous le soleil