Nous sortions sous une pluie battante de l’église Sainte Rosalie après la messe à la mémoire de Jérôme, une messe pour ceux qui n’avaient pas pu se rendre en août à ses obsèques dans le Bordelais. Nous nous dirigions en groupe vers la salle paroissiale pour un buffet convivial quand je vis, de l’autre côté de la rue, que la petite maison d’artiste des Breschand était éclairée. Par la fenêtre, j’ai vu Thérèse qui dînait tranquillement, menue, boucles neigeuses dans la lumière. Je n’y avais pas mis les pieds depuis trente ans.
J’ai laissé Gilles et sans plus réfléchir, j’ai sonné au portail du jardinet. Il était environ 21 heures, bien tard pour les 93 ans de Thérèse, mais je lui avais promis d’aller la voir lors de son exposition de janvier dans la mairie du XIIIe. Je vis apparaître sa fille, Hélène. Elle descendit les marches avec des cris de surprise. Ses cheveux avaient blanchis.
– Si, si, entre ! Maman sera contente de te voir, me dit-elle aussitôt. Quelle bonne idée tu as eu ! C’est une chance que je sois là, elle ne t’aurait pas ouvert, elle n’entend plus la sonnette, continua-t-elle.
Thérèse tenait des propos un peu incohérents et Hélène devait répéter mes paroles. Mais son visage s’était illuminé. Notre passé remontait comme une bulle de joie. Je retrouvais son langage à l’emporte-pièce. Comme je l’incitais à poursuivre son repas « Ca va être froid ! »
Elle répliqua avec un large sourire :
– Est-ce que je t’ai jamais dit ce que tu dois faire ? Dis-moi plutôt pourquoi tu es dans le quartier ?
Je regardais avec attendrissement la maison, les tableaux sur les murs, son atelier, en pensant à Maurice, son mari, peintre aussi, disparu depuis longtemps, à ses succulents plats de terroir, à leurs grandes tablées d’amis.
– Tu montes toujours ton escalier ?
Elle répondit avec malice :
– Il faut bien que j’aille dans ma chambre.
Et elle ajouta :
– Quand je serai vieille, j’installerai mon lit en bas.
Sa mère est morte à plus de cent ans.
Mais, je ne pouvais pas rester. Avant de nous séparer, Hélène (Breschand) me demanda mon adresse email. Harpiste, très reconnue dans la musique contemporaine, elle prépare trois concerts pour le mois d’octobre à Paris. Je me réjouis d’aller l’écouter.
J’ai retraversé la rue. Guidée par le bruit j’ai retrouvé Gilles et ses amis physiciens.
Jérôme ! Encore une partie de mon passé…
Bien en avance sur son temps, Gilles avait monté un laboratoire de recherche sur le photovoltaïque et l’énergie solaire à Polytechnique. Venus de labos voisins, des originaux s’étaient joints à son équipe, dont Jérôme, fraîchement sorti de l’école après un parcours de rebelle. Il y fit sa thèse et se maria avec Marie-Claude, littéraire spécialisée dans les écrivaines américaines. Ils eurent rapidement deux filles, Elsa et Julie. Nous fumes invités avec chaleur dans leur petite maison de la Butte aux Cailles. Puis Gilles quitta le CNRS pour aller enseigner à Jussieu pendant que Jérôme commençait une brillante carrière, en particulier pionnier dans les voitures électriques chez Renault. Et nous nous sommes perdus de vue. Nous avions de temps en temps de ses nouvelles.
Et c’est justement dans cette salle paroissiale que bien des années plus tard, il invita ses amis et sa famille à l’occasion de son cinquantième anniversaire. Nous eûmes la surprise d’être de la fête. Il n’avait pas tellement changé ! Dynamique, souriant, attentif à chacun, il était devenu un pilier de la paroisse Sainte Rosalie.
Il nous présenta son père, général dans la cavalerie. Comment en sommes-nous venus à aborder le sujet ? Je ne me souviens plus. Avons-nous évoqué le Dauphiné ? C’est probable. Il s’avéra que nous étions parents. Jérôme était mon cousin ! Son père saisit en urgence son téléphone pour annoncer à un autre cousin qu’il venait de rencontrer « la fille de François ».
Il me présenta son épouse. De fil en aiguille, j’appris que celle-ci possédait une maison de famille à Évian et que Jérôme avait passé ses vacances d’enfant au bord du Léman. Comment était-ce possible ? Voilà qui nous réunissait à vie ! C’est ainsi que par la suite sans pour autant nous voir souvent, Jérôme et Marie-Claude ont fait partie de notre existence. J’appris par la même occasion que Gilles avait eu de l’importance pour lui au moment de sa thèse et qu’il lui gardait une affection toute particulière.
(à suivre)
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